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Commerce UE-Israël : l’avis consultatif de la CIJ change la donne

Photo: Saleh Najm and Anas Sharif / Wikimedia / CC BY 4.0

CNCD 11.11.11 | 12 novembre 2024

Commerce UE-Israël : l’avis consultatif de la CIJ change la donne

par Nathalie Janne d’Othée

Suite à l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) en juillet 2024, les relations commerciales entre l’Union européenne (UE) et Israël sont à nouveau mises sous la loupe. Premier partenaire commercial d’Israël, l’UE a en effet l’obligation d’utiliser ce levier pour pousser Israël à mettre fin à son occupation illégale du Territoire palestinien occupé. En l’absence d’action de l’UE, l’Irlande a décidé d’avancer de son côté vers une interdiction des produits des colonies. Qu’en est-il en Belgique ?

« Le commerce est une compétence exclusive de l’UE et le gouvernement [irlandais] s’est donc concentré sur la mise en place d’une action au niveau de l’UE. Je n’ai cessé de demander à l’UE de procéder à un examen complet des relations UE-Israël à la lumière de l’avis consultatif [de la Cour internationale de justice]. La Procureure générale a précisé que si cela n’était pas possible, il existait dans la législation européenne des motifs permettant aux États de prendre des mesures au niveau national. C’est dans ce contexte que le gouvernement [irlandais] va maintenant réexaminer la proposition de loi sur les territoires occupés ».

C’est avec ces mots que le Premier ministre irlandais confirmait le 22 octobre dernier la volonté de son gouvernement d’avancer vers une interdiction nationale des produits des colonies, sans attendre que ne soit trouvé un consensus au niveau européen. Depuis le début de la législature en Irlande (2020), le « Occupied Territories bill » était gelé au Parlement irlandais, condition posée par un parti pour participer au gouvernement. Mais l’avis consultatif de la Cour internationale de justice a changé la donne.

Un avis consultatif historique

Le 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice a en effet rendu un avis consultatif historique. La Cour avait été sollicitée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 2022 pour se prononcer sur la nature des pratiques et politiques israéliennes dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967. Reprenant les conclusions de son avis de 2004 sur le mur d’annexion israélien, la Cour a donc rappelé l’illégalité de la colonisation, mais elle a été cette fois-ci plus loin en qualifiant les pratiques israéliennes d’annexion du territoire palestinien et d’apartheid à l’encontre de sa population. Elle finit enfin par conclure que l’occupation dans son ensemble est illicite et doit cesser dans les plus brefs délais.

La CIJ précise également les obligations des Etats tiers face à ces situations illicites, l’obligation « de ne pas reconnaître comme légale la situation résultant de la présence illégale de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ». Elle enjoint explicitement les Etats à « prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé » (par. 278).

Le 18 septembre 2024, une résolution a été votée par l’Assemblée générale des Nations Unies pour mettre en œuvre l’avis de la CIJ. Encore plus précise que l’avis consultatif, la résolution demande aux Etats de « prendre des mesures pour mettre fin à l’importation de tout produit provenant des colonies de peuplement israéliennes ». Elle est soutenue par 13 Etats membres de l’UE, dont la Belgique. Seules la Hongrie et la République tchèque ont voté contre.

L’UE, premier partenaire commercial d’Israël

Premier partenaire commercial d’Israël, l’Union européenne a des leviers d’action pour pousser Israël à respecter le droit international et doit donc les utiliser. Le principal de ces leviers est l’Accord d’Association conclu entre Israël et l’UE en 1995, et entré en vigueur en 2000. L’article 2 de cet accord stipule que « Les relations entre les parties, ainsi que toutes les dispositions de l’accord lui-même, sont fondées sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui guide leur politique intérieure et internationale et constitue un élément essentiel du présent accord ».

Au vu des violations massives du droit international humanitaire à Gaza, deux Etats, l’Espagne et l’Irlande, ont demandé en février 2024 à la Commission « un examen urgent du respect par Israël de ses obligations, y compris dans le cadre de l’accord d’association UE/Israël ». La ministre belge des Affaires étrangères Hadja Lahbib a confirmé que la Belgique soutiendrait cette initiative au sein de l’UE. « Comme vous le savez, la Belgique attache une grande importance au respect des droits de l’homme. Il s’agit d’un élément essentiel de l’accord d’association UE-Israël. Nous sommes prêts à participer à un débat sur cette question au niveau européen », a-t-elle alors précisé.

A l’heure d’écrire ces lignes, la Commission n’a pas encore répondu à la demande de l’Espagne et de l’Irlande. Et les violations massives commises par l’armée israélienne à Gaza, et désormais également au Liban, rendent de plus en plus inacceptables le silence et l’inaction de la Commission. Elle échoue en cela à jouer son rôle de gardienne des Traités.

La suspension de l’Accord d’Association UE-Israël dans son ensemble semble impossible car elle requerrait un consensus au sein du Conseil, ce qui est peu probable avec le blocage systématique de la Hongrie et d’autres Etats membres au sein du Conseil. Mais la suspension du volet commercial de l’Accord peut être décidée à la majorité qualifiée, soit par 15 États membres, représentant au moins 65% de la population de l’Union. Convaincre 15 Etats membres ne sera pas chose aisée, mais pas inatteignable au vu de la gravité des violations du droit international commises par Israël.

Interdire le commerce avec les colonies

Parallèle à la question de la suspension de l’Accord d’Association UE-Israël, la question de l’interdiction des produits des colonies occupe aussi les discussions au sein de l’UE. Un article du site d’information en ligne The Intercept a récemment dévoilé une étude juridique qui avait été produite par la Commission sur les conséquences de l’avis consultatif de la CIJ pour l’UE. Selon l’auteur, le droit européen ne requiert pas plus qu’un étiquetage des produits des colonies, et « la question de savoir s’il convient de revoir la politique de l’UE en ce qui concerne l’importation de produits en provenance des colonies est une question d’appréciation politique ultérieure ». L’article note néanmoins que l’identité de l’auteur n’est pas anodine. « M. Hoffmeister, l’auteur de la note juridique de l’UE [écrite en tant que directeur du département juridique du Service européen d’action extérieure], est également le directeur, basé à Bruxelles, du groupe de travail sur la politique étrangère et de sécurité du parti libéral allemand Free Democratic Party, qui est un fervent partisan de la guerre d’Israël à Gaza », relève The Intercept. Sa double allégeance, plus que questionnable en matière d’éthique, n’est sans doute pas sans effet sur son interprétation de l’avis de la CIJ. Son interprétation est par ailleurs isolée par rapport aux différents experts juridiques qui se sont déjà exprimés sur le sujet.

Face aux nombreux blocages qui empêchent l’UE d’avancer sur le sujet, l’Irlande a donc décidé d’avancer seule vers une législation nationale interdisant les produits des colonies. Le « Occupied Territories Bill » qui vise à légiférer en la matière ne date néanmoins pas d’hier. Déposé en 2018 au Sénat irlandais par la sénatrice indépendante Frances Black, il avait déjà passé plusieurs étapes d’approbation avant d’être gelé en 2020 suite aux négociations de l’accord de gouvernement. Pour le gouvernement irlandais, la politique commerciale étant une compétence exclusive de l’UE, ce n’était pas à l’Irlande de légiférer en la matière.

Suite à l’avis consultatif de la CIJ, le gouvernement irlandais a donc relancé l’UE pour qu’elle avance sur le sujet. Mais rien ne bouge au sein de l’UE, bloquée par les différents alliés d’Israël en son sein. L’Irlande a donc demandé un avis à la Procureure générale irlandaise sur la manière d’agir. Cette dernière a établi qu’il existait des exceptions en droit européen pour qu’un Etat membre puisse légiférer seul en matière de commerce, sur base de motifs d’ordre public ou de moralité publique prévus à l’Article 24, §2 du Règlement Importation de l’UE.

Qu’en est-il en Belgique ?

En novembre 2023, une proposition de loi avait été déposée par la présidente de la Commission Relations extérieures, Els Van Hoof (CD&V), au Parlement fédéral pour interdire l’importation des produits des colonies. Cette proposition avait été soutenue par les socialistes et les écologistes. Seuls manquaient les soutiens des libéraux pour parvenir à un accord au sein de la majorité. Les élections du 9 juin ont ensuite rebattu les cartes.

Mais l’avis consultatif de la CIJ change désormais la donne. Il établit des obligations claires pour les Etats tiers. La Belgique a par ailleurs voté en faveur de la résolution à l’Assemblée générale des Nations Unies qui stipule clairement que les Etats doivent interdire l’importation des produits des colonies. Et l’Irlande montre aujourd’hui l’exemple.
Fin août, le CD&V a redéposé le texte de proposition de loi au Parlement fédéral. Il est donc aujourd’hui temps de passer de la parole aux actes en adoptant cette proposition de loi et en indiquant ainsi, aux côtés de l’Irlande, la voie à suivre au reste de l’UE pour respecter du droit international.


 source: CNCD 11.11.11