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La mobilisation s’intensifie en Haïti contre les négociations en cours

LE MONDE ECONOMIE | 05.11.07 | édition du 06.11.07

La mobilisation s’intensifie en Haïti contre les négociations en cours

Jean-Michel Caroit
SAINT-DOMINGUE CORRESPONDANT

La négociation des accords de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne (UE) et les 78 pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), qui doivent succéder début 2008 aux Accords de Cotonou, suscite des réactions diverses dans l’arc des Antilles. Mi-octobre, plusieurs milliers d’Haïtiens ont manifesté contre les APE. Regroupant neuf organisations proches de la mouvance altermondialiste, la coalition Bare APE ("halte aux APE", en créole) compare les accords de partenariat proposés aux traités de libre-échange promus par Washington à travers le continent américain. Les ONG ont profité de la tenue à Port-au-Prince d’une session ministérielle du Cariforum (qui regroupe les pays des Caraïbes membres des ACP) pour relancer la mobilisation.

A l’initiative de la coalition, une pétition circule en Haïti, demandant au gouvernement de ne pas signer les APE. "Ce projet va occasionner le chômage de 250 000 producteurs de café, de plusieurs milliers de producteurs de mangues et de 300 000 planteurs et producteurs de riz", dénonce Bare APE, qui réclame "un traitement spécial et différencié" pour Haïti en raison de son statut de pays moins avancé (PMA).

Francesco Gosetti, le représentant de l’UE en Haïti, a profité du débat lancé par les contestataires pour plaider en faveur des APE, "une occasion unique pour Haïti de renforcer ses liens avec ses voisins régionaux". Loin d’exposer davantage les producteurs agricoles haïtiens, les APE pourraient aider à corriger le régime douanier actuel "ouvert à la concurrence internationale, avec des conséquences parfois négatives pour la production nationale", notamment pour le sucre et le riz, a fait valoir l’ambassadeur européen. Les ONG haïtiennes demandent, elles, à l’UE de renoncer à "l’approche d’aide humanitaire et d’urgence" au profit d’une "coopération structurante visant le développement durable sur le long terme", avec des financements prioritaires en faveur de l’agriculture et de l’éducation.

En revanche, les négociations avec l’Europe n’ont pas donné lieu à de grands débats en République dominicaine. Le pays a adhéré en 1989 à la convention de Lomé — qui a précédé les accords de Cotonou — sans trop savoir ce que représentait le texte. L’Espagne avait insisté pour que Saint-Domingue adhère en même temps qu’Haïti, dont la candidature était poussée par la France. Près de vingt ans plus tard, l’essentiel du commerce dominicain se fait toujours avec les Etats-Unis, mais peu de Dominicains savent que l’UE est de loin le principal bailleur de fonds de leur Etat. Economie la plus dynamique de la région, la République dominicaine a récemment adhéré à l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et les pays d’Amérique centrale, connu sous le sigle Cafta-DR ("Central America-Dominican Republic-United States Free Trade Agreement").

"Il ne semble pas y avoir de grandes différences entre les APE et les accords de libre-échange conventionnels", regrette Francisco Checo, président du Centre d’investigation économique sur la Caraïbe (Cieca). Selon ce think tank, "il est impératif que la région impulse des mécanismes politiques et économiques pour accélérer son intégration, non seulement par le biais des échanges commerciaux, mais aussi par la coopération dans les domaines social, économique, culturel et politique pour éliminer la pauvreté et parvenir au développement durable".

UNE APPROCHE PRAGMATIQUE

Carlos Morales Troncoso, le ministre dominicain des relations extérieures, s’est dit satisfait des négociations. Il les juge favorables aux exportations de sucre, de cacao, de bananes, de tabac et de rhum. "La signature d’un APE avec l’Europe va offrir des opportunités à de nombreux professionnels dominicains, qui pourront se rendre temporairement en Europe pour y vendre leurs services", a ajouté le ministre. Parmi les professions concernées, il a cité les consultants, les promoteurs touristiques, les coiffeurs, mais aussi les masseurs, les danseuses et les musiciens.

A la tête de l’équipe de négociateurs de la Communauté des Caraïbes (Caricom), qui regroupe les Etats anglophones, Richard Bernal plaide en faveur d’une approche pragmatique. "Si un APE n’est pas en vigueur le 1er janvier 2008, les pays membres du Cariforum devront commercer avec l’Europe sur la base du système de préférences généralisées, qui est moins favorable, car il ne couvre pas d’importantes exportations de la région", explique-t-il. Cet argument n’a pas vaincu toutes les réticences. Ancien ministre jamaïcain des affaires étrangères, Anthony Hylton estime que l’importance de l’enjeu exige "de poursuivre la négociation le temps nécessaire". "Il faut un changement d’attitude de l’UE. Il ne s’agit pas de dicter, mais de négocier, dans le respect des objectifs fondamentaux des APE conjointement définis dans les accords de Cotonou", ajoute-t-il.

Face à la suppression unilatérale du protocole sur le sucre, dont son pays, le Guyana, est le principal exportateur régional, le président Bharrat Jagdeo a annoncé qu’il pourrait engager une action en justice. En vigueur depuis la première convention de Lomé, ce protocole prévoit des quotas de sucre de canne, à des prix garantis, en provenance des pays ACP.

POUR EN SAVOIR PLUS

POSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LES NÉGOCIATIONS APE
(http://ec.europa.eu/trade/).

ETUDE DE L’IMPACT DES APE ET DE L’INTÉGRATION RÉGIONALE SUR LES PAYS ACP, par L. Fontagné, D. Laborde et C. Mitaritonna et ACTES DU COLLOQUE SUR LES APE DE NOVEMBRE 2006,
sur le site de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde
(www.fondation-farm.org).

IMPACTS DE L’ACCORD DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE UE - AFRIQUE DE L’OUEST,
par B. Faucheux, B. Hermelin et J. Medina (décembre 2005, 37 p.), sur le site du Groupe de recherche et d’échanges technologiques
(www.gret.org).


 source: Le Monde