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La suspension de l’accord d’association avec Israël divise les Européens

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Le Monde | 30 mai 2024

La suspension de l’accord d’association avec Israël divise les Européens

Par Philippe Jacqué

L’Union européenne (UE) peut-elle revoir, voire suspendre, son accord d’association avec Israël ? A la lumière des multiples violations du droit humanitaire par l’armée israélienne, documentées par les ONG, des quelque 36 000 victimes palestiniennes, pour la plupart civiles, selon les chiffres du ministère de la santé du Hamas, mais également du jugement de la Cour internationale de justice qui intime à l’Etat hébreu de cesser ses opérations militaires à Gaza, cette question est devenue brûlante à Bruxelles, mais également dans la campagne électorale européenne, à dix jours des élections.

Lundi 27 mai, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a annoncé avoir « l’unanimité nécessaire des Etats pour convoquer un conseil d’association avec Israël [instance de dialogue politique de l’accord d’association], afin de discuter de la situation à Gaza, du respect des droits humains qu’Israël doit assumer en vertu de l’accord d’association et de la manière dont il prévoit de respecter la décision de la Cour internationale de justice. »

« C’est un signal fort, a salué Hadja Lahbib, la ministre des affaires étrangères belge. Nous devons veiller à ce que nos règles et nos valeurs soient respectées par tous et surtout par nos partenaires comme Israël. Il y va de notre crédibilité. »

Demande de 195 ONG

En France, les principales têtes de liste de gauche, de Raphaël Glucksmann (Parti socialiste-Place publique) à Manon Aubry (La France insoumise), en passant par Marie Toussaint (Europe Ecologie-Les Verts) réclament pour leur part une mesure bien plus forte : la « suspension » de cet accord, et ce, quelques semaines après une demande identique formulée par 195 ONG européennes, dont Oxfam, la Ligue des droits de l’homme ou La Cimade.

Signé entre l’UE et Israël, en 1995, et entré en vigueur en 2000, ce traité prévoit non seulement un dialogue politique, mais surtout la libéralisation des échanges commerciaux. L’UE est ainsi devenue rapidement le premier partenaire commercial de l’Etat hébreu. Progressivement, cet accord a été élargi, intégrant Israël à plusieurs politiques communautaires en matière de recherche ou de mobilité étudiante, comme dans le programme Erasmus.
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Initialement, ce texte a été « mis en place après les accords d’Oslo pour tenir cette paix sur le territoire, [mais] puisque, aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies, il faut [le] suspendre », soulignait Marie Toussaint, mercredi, sur France Inter. Il devait permettre d’accompagner le processus de paix lancé en 1993. En parallèle, l’Europe s’engageait à aider l’Autorité palestinienne, avec laquelle un accord était également signé en 1997, à créer les infrastructures de son futur Etat.

Le deuxième article du texte précisait également que les relations des Européens avec Israël se fondent « sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui inspire leurs politiques internes et internationales ». Les différents gouvernements israéliens, à commencer par celui d’Ariel Sharon (2001-2006) et celui de Benyamin Nétanyahou, n’ont jamais pris en compte ces engagements, accélérant la colonisation et la captation des terres palestiniennes. Il faudra attendre 2012 pour que l’UE réagisse en bloquant non pas l’accord, mais le dialogue politique au niveau ministériel. Celui-ci a, depuis, été rétabli en 2022, aucun progrès n’ayant cependant été constaté.

« Une impasse totale »

Mi-février, alors que la guerre israélienne contre Gaza avait déjà fait 28 000 victimes et qu’Israël préparait son offensive sur Rafah, Pedro Sanchez et Leo Varadkar, les premiers ministres espagnol et irlandais, avaient demandé à la Commission d’entreprendre un « examen urgent pour déterminer si Israël respecte ses obligations, y compris dans le cadre de l’accord d’association UE-Israël ». La Commission ne leur a toujours pas répondu.

Quant à la convocation d’un conseil d’association avec Israël, il a peu de chances de voir le jour. « Cela n’arrivera pas », affirme-t-on même au service diplomatique européen. Pour l’organiser, il faudrait non seulement s’entendre avec Israël, qui n’y a aucun intérêt, et définir une position commune européenne.

« Nous sommes dans une impasse totale, juge un haut fonctionnaire communautaire. Il ne peut y avoir de position commune entre l’Allemagne, la Hongrie et la République tchèque d’un côté, qui soutiennent très largement Israël, et l’Espagne et l’Irlande de l’autre, qui viennent de reconnaître l’Etat palestinien. » Si les Vingt-Sept sont incapables de s’entendre pour organiser un dialogue politique, toucher à l’accord d’association apparaît aujourd’hui inconcevable.


 source: Le Monde