bilaterals.org logo
bilaterals.org logo
   

Le TFTA, grand oublié du libre-échange

Politis | 15 juin 2015

Par Pierre-Yves Baillet, Thierry Brun

Afrique-Union européenne : le TFTA, grand oublié du libre-échange

La Commission européenne a accueilli avec satisfaction, mais sans bruit, un accord créant une zone de libre échange, signé le 10 juin par 26 Etats africains réunis à Charm el-Cheik en Egypte.

Le 10 juin l’attention des ONG anti-TAFTA était braquée sur le report du vote au Parlement européen d’une résolution sur le traité transatlantique entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis (PTCI en français, TTIP en anglais). Le jour même, un accord africain a fait une entrée discrète dans le cercle restreint des zones de libre-échange. Certes moins importante que les négociations transatlantiques, la plus grande zone de libre-échange d’Afrique (Tripartite Free Trade Area, TFTA) a vu le jour et avec le soutien actif de l’Union européenne (UE) à ce vaste ensemble regroupant trois communautés économiques régionales (COMESA, SADC et EAC) d’Afrique australe et orientale, soit 625 millions de personnes pour un PIB de 900 milliards d’euros.

« Je soutiens pleinement les efforts du COMESA, de la CAE et de la SADC (voir notre carte) dans la construction de la zone de libre échange tripartite, et mes services vont continuer à travailler avec ces organisations pour traduire les engagements en résultats concrets », a déclaré Neven Mimica, commissaire européen pour la coopération internationale et le développement, dès le lendemain de l’accord signé à Charm el-Cheikh, en Egypte, créant une vaste zone de libre-échange tripartite africaine.

La Commission européenne a en fait apporté sa contribution à la naissance de cette zone, notamment financière. Un programme indicatif régional (PIR) a été signé le 5 juin, à hauteur de 1,3 milliards d’euros, entre la Commission européenne et les principaux acteurs de la future zone de libre-échange. « Le PIR est l’instrument principal de coopération de l’UE pour l’intégration régionale, ce qui, à long terme, démontre l’engagement substantiel de l’UE au processus tripartite », assure Neven Mimica, qui précise que la future « Tripartite », dans le jargon des négociateurs, a bénéficié du « quasi doublement du budget » de ce programme indicatif régional.

Le TFTA est donc vu d’un très bon œil par Bruxelles, bien que des régimes forts en soient signataires, entres autres la dictature sanglante qui sévit en Érythrée, et celui du Soudan, dont la Cour pénale internationale a demandé l’arrestation de son président. Depuis longtemps, l’Union africaine milite de son côté pour la création d’un marché unique ainsi que pour l’utilisation d’une monnaie commune. La Tripartite pourrait être le pas décisif qui mènera à la réalisation de ce dessein, mais indépendamment du cadre de l’Union africaine. « Je n’y crois pas pour le moment. Les gouvernements africains tiennent beaucoup à leur souveraineté. Il s’agit plus d’un acte politique, ratifier n’est pas appliquer », tempère Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), en charge de l’Afrique.

Les institutions européennes encouragent cependant la dynamique d’ouverture à la concurrence de l’ensemble du continent africain. « Le développement du TFTA est une partie d’un projet global qui vise l’intégration de tous les pays du continent. (...) Le plus important bénéfice du TFTA, c’est qu’il pourrait jouer le rôle d’un catalyseur en achevant l’intégration économique à un niveau continental – une zone de libre échange panafricaine (CFTA en anglais) », décrit une note du service de recherche du Parlement européen publiée en mars par Ionel Zamfir. Contacté par Politis.fr, l’auteur assure que « ce texte sert à informer les députés mais ne représente pas les positions du Parlement européen ». Le document révèle cependant l’engagement de la Commission européenne vers cette zone de libre-échange panafricaine qui verrait le jour « en 2017 ou plus tard ».

L’étape vers un accord intercontinental

Pour l’organisme de recherche du Parlement européen, la « Tripartite » est d’ores et déjà perçue comme la première étape vers un accord économique intercontinental. « Les relations commerciales de l’Union européenne avec les pays impliqués dans les négociations du TFTA font l’objet de négociations qui devraient se conclure par la mise en place d’accords de partenariat économique (APE). Ces accords de partenariat économique sont la nouvelle forme de traité que l’UE voudrait mettre en place avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique », explique la note.

En clair, l’Union européenne pousse à la signature d’APE conformes aux règles de la très libérale Organisation mondiale du commerce (OMC). « Les projets d’APE ne sont pas exactement identiques au projet de TAFTA (en fait le TTIP, NDLR), mais les similitudes sont très fortes », souligne Jean Gadrey dans un billet de blog consacré aux APE . On trouve notamment dans le projet d’APE avec l’Afrique de l’Ouest « un mécanisme de règlement des différends “entre les parties”, en tous points semblable (trois juges privés, etc.). Ici, les parties seraient l’UE et les Etats africains, mais il est clair que si une multinationale à base européenne s’estimait lésée, elle saisirait l’UE, laquelle mettrait en branle ce mécanisme privé s’imposant aux Etats ».

L’UE a ainsi engagé des négociations dans le cadre des accords de partenariat économique avec deux des communautés économiques régionales prenant part à la « Tripartite » et a signé un accord bilatéral avec l’Afrique du Sud, principal acteur économique de la Tripartite. La note du Parlement européen ajoute que « le TFTA générerait (…) de nouvelles possibilités pour les affaires par une amélioration et une harmonisation du régime commercial, ce qui ferait baisser les coûts d’exploitation et amènerait un afflux direct d’investissements étrangers dans la région ». Surtout, rappelle Philippe Hugon, « depuis les années 2000, l’Union européenne a perdu environ 50 % de ses parts de marché en Afrique », et veut les regagner.

Les multinationales étrangères gagnantes

L’objectif principal du TFTA est de promouvoir les échanges intra-africains par la libéralisation du commerce des biens en supprimant les barrières tarifaires et non tarifaires. En effet, seulement 12 % de ces échanges sont réalisés entre pays du continent, contre 70 % en Europe. Les pays signataires ont deux ans pour faire ratifier le traité par leur parlement respectif. Selon une étude des Nations unis, menée par la Commission économique pour l’Afrique, « l’établissement du TFTA permettrait une augmentation générale du niveau de vie, mais qui serait inégalement répartie, seul un petit nombre de pays empocherait presque la totalité des gains (Egypte, Afrique du Sud et le Zimbabwe qui pourrait cumuler jusqu’à 90 % des gains) ». Le plan d’action 2012 de l’Union africaine pour stimuler le commerce intra-africain est plus nuancé et a identifié une série d’obstacles :

« Les réels gagnants seraient les multinationales étrangères au continent (…). L’autre problème majeur est la perte potentiel de revenus pour le gouvernement (…). La perte potentiel de revenus pourrait avoir des implications sur la fourniture des services publics essentiels. »

De son côté, la Commission européenne voit loin : le TFTA ne serait que le premier pas vers la mise en place d’un marché africain commun, obéissant à une vision économique libérale par le biais de la concurrence entre zones de libre-échange. Cette ambition a franchi un pas important, le 10 juin, alors que le Parlement européen tergiversait sur ses recommandations à la Commission européenne dans le cadre des négociations pour un accord transatlantique entre l’UE et les Etats-Unis.


 source: Politis