Liberté syndicale : toujours un défi
France Culture | 10/06/2019
Liberté syndicale : toujours un défi
L’Organisation Internationale du Travail a 100 ans, et le droit à la liberté syndicale, bien que considéré comme fondamental, est loin d’être respecté par ses 187 pays membres. Comment l’OIT agit pour faire respecter ce droit ? Reportage à Genève de Marie Viennot.
La liberté syndicale est l’une des garanties primordiales de la paix et de la justice sociale pour l’Organisation Internationale du travail. Elle fait l’objet d’une convention ratifiée par 155 pays à ce jour.
C’est aussi un droit reconnu par la déclaration des droits de l’homme de 1948.
Ratifier une convention ne suffit pas, il faut aussi la faire appliquer. Pendant la conférence qui s’ouvre à Genève, une commission va se réunir tous les jours pour pointer du doigt les pays qui ne respectent pas les conventions qu’ils ont ratifié.
La moitié des manquements concernent justement le non respect des libertés syndicales… avec un cas phare cette année, celui de la Turquie.
La Turquie va devoir s’expliquer
La Turquie pourrait avoir à s’expliquer sur la répression syndicale qui a suivi le coup d’état en 2016. Refuser ce dialogue, comme le firent auparavant le Venezuela, et le Zimbabwe, c‘est risquer une commission d’enquête, soit le stade le plus élevé de contrôle que peut exercer l’OIT.
C’est une procédure rare, 13 commissions seulement ont été lancées en 100 ans, mais elle ne menace que les Etats qui ratifient les conventions (sachant que cette ratification est toujours volontaire) sans les appliquer.
Or pour les libertés syndicales, deux mastodontes économiques manquent à l’appel : les Etats-Unis et la Chine.
Pour autant, les libertés syndicales étant considérées comme fondamentales, tout membre de l’OIT peut faire l’objet d’une plainte, même s’il n’a pas ratifié la convention sur la liberté syndicale.
160 plaintes sont en ce moment examinées par le comité de la liberté syndicale. Composé de représentants des Etat, des employeurs et des travailleurs, ce comité se réunit trois fois par an.
Impossibilité de créer un syndicat, atteinte à la négociation collective, parfois menace de morts... vous pouvez consulter les différents cas examinés dernièrement en suivant ce lien. Ici un article sur une plainte déposée contre la Chine.
Chaque cas est discuté en profondeur, car le comité ne peut pas prendre de décisions sur de simples allégations.
La France fait aussi l’objet de plaintes
Les plaintes peuvent être classées sans suite, ou les Etats sommés de donner des explications. Cambodge, Maldives, Libéria, Afghanistan, Somalie, Philippines, Colombie, Argentine et Brésil font en ce moment partie des cas les plus pressants. La Bielorussie est régulièrement citée également.
La moitié des plaintes viennent d’Amérique Latine. L’un des représentant des employeurs au Comité de la liberté syndicale est justement colombien. Alberto Echavarria juge que s’il y a plus de plaintes venant d’Amérique Latine, c’est parce qu’il y a "la croyance qu’ils seront plus facilement traités au niveau national". L’Amérique Latine (et la Colombie en particulier) est la région du monde où la répression des syndicalistes est la plus violente. Selon Indepaz, un institut d’études pour le développement et la paix, 116 leader syndicaux ont été assassinés en Colombie en 2016. Ici leur rapport (en Espagnol).
La France fait aussi l’objet d’une plainte pour non respect du droit à la négociation collective dans la loi travail. La plainte a été déposée par FO.
Document de synthèse du Comité de la Liberté Syndicale
Document de synthèse du Comité de la Liberté Syndicale• Crédits : ILO
Force Ouvrière est particulièrement impliqué à l’OIT. Son secrétaire général Yves Veyrier, participe à ce comité depuis 2004. Il en est le vice président depuis 10 ans. Quand la plainte sur la France sera examiné, il ne pourra pas s’exprimer (tout comme le représentant des employeurs qui est Colombien, ne peut pas s’exprimer sur les cas qui concernent la Colombie).
Impossible cependant pour l’OIT de contraindre les Etats, qui sont souverains chez eux.
C’est une pression diplomatique, mais les Etats n’aiment pas être mis à l’index au sujet de la liberté syndicale car c’est une liberté fondamentale qui dit aussi leur capacité à être des Etats de droit, démocratiques. De plus, ils craignent de possibles difficultés ensuite à négocier des accords commerciaux. Yves Veyrier, secrétaire général de FO, et vice président du Comité sur la liberté syndicale.
Depuis une dizaine d’années, les questions sociales ont fait en effet leur apparition dans les accords de libre échange régionaux ou bilatéraux. Et pour la première fois en mars dernier, l’Union Européenne a même menacé la Corée du Sud de revoir les termes de leurs accords si le pays ne ratifiait pas enfin les 4 conventions fondamentales de l’OIT, dont celle sur la liberté syndicale. Mettra-t-elle sa menace à exécution si la Corée du Sud persiste à ne pas ratifier ces conventions? Affaire à suivre...
Cependant, cette inclusion des normes sociales dans les accords de libre échange n’est pas forcément une bonne chose pour l’OIT qui peut se retrouver au final marginalisée par cette tendance. Souvent, en effet, ces clauses "renvoient à des mécanismes d’arbitrages qui occupent la fonction de juges de l’interprétation des normes sociales et environnementales", comme l’écrit le juriste Alain Supiot dans "Les tâches de l’OIT à l’heure de son centenaire" (article à paraître). C’est le cas notamment du CETA, qu’à négocié l’UE avec le Canada.
Marie Viennot