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LU : Traité de libre-échange : les (dés)accords

Au Luxembourg, l’opposition au Tafta est portée à la fois par Stop Tafta (photo) et par une plateformeconstituée notamment de l’OGBL, de l’Aleba, du Syprolux, du LCGB, de Caritas.

Le Quotidien 2014-05-17

Traité de libre-échange : les (dés)accords

Si la mobilisation contre le traité transatlantique de libre-échange monte chez les associations et syndicats, les poids lourds politiques luxembourgeois restent très prudents. Trop, estime même Stop Tafta.

De notre journaliste
Romain Van Dyck

L’organisation nationale contre le traité transatlantique, Stop Tafta Luxembourg, se veut alarmiste. Ce traité négocié en secret signerait le transfert du pouvoir des États vers les multinationales.

L’histoire se répètera-t-elle? Entre 1995 et 1997, un projet d’accord multilatéral sur l’investissement, négocié discrètement par 29 États de l’OCDE, devait permettre aux multinationales de traîner en justice les gouvernements qui entraveraient leur course aux profits. Divulgué in extremis, ce projet suscita une telle protestation que ses promoteurs durent le remiser.

C’est ce type de projet qui revient en force avec le projet de zone de libre-échange transatlantique (Tafta en anglais, ou TTIP), négocié actuellement de façon opaque entre l’Union européenne et les États-Unis, affirmaient hier les membres de Stop Tafta. Le collectif affirme en effet que Tafta est «un projet soutenu par les multinationales, leur permettant d’attaquer en justice tout État qui ne se plierait pas aux normes du libéralisme», résume Catherine Labroussi.

L’espoir des négociateurs est de conclure l’accord en 2015. Puis les 28 gouvernements devront approuver le texte négocié, avant que le Parlement européen se prononce. Aux États-Unis, le Congrès devra le ratifier.

Voici les principaux griefs exprimés (au conditionnel, nécessairement).

Vie privée: Avec des règles favorisant les géants de l’internet, la protection contre l’utilisation abusive des données personnelles de millions d’Européens deviendrait une «mission impossible», estime Stop Tafta.

Sécurité alimentaire: Sujet sensible par excellence. Les normes européennes, plus strictes que celles américaines (pesticides, additifs toxiques, OGM, hormones...) pourraient être condamnées comme «barrière commerciales illégales», estime l’association.

Multinationales vs États: Les pays signataires du Tafta assureraient la «mise en conformité de leurs lois, règlements et procédures» avec les dispositions de ce traité. Sinon, ils pourraient être poursuivis devant des tribunaux ad hoc («un panel de membres issu d’un club d’avocats privés et englués dans des conflits d’intérêts», affirme Stop Tafta) créés pour arbitrer les litiges entre investisseurs et États.

Principe de précaution: L’UE est acquise au principe de précaution, tandis que les États-Unis préfèrent les contentieux après dommage, un mode de régulation lourd de conséquence pour la santé publique, la protection des consommateurs et l’environnement.

Emploi et rémunérations: Les États-Unis n’ont pas signé certaines normes concernant les droits syndicaux. Le TTIP pourrait donc entraîner «un affaiblissement de la situation des travailleurs de l’UE».

Santé et retraite: Les médicaments pourraient être sous brevet plus longtemps, la distribution des génériques bloquée, les services d’urgence privatisés, et les retraites par répartition démantelées. Les assurance privées pourraient attaquer en justice l’assurance publique pour concurrence déloyale.

Banque et finances: Cinq ans après la crise des subprime, les négociateurs américains et européens «veulent purement et simplement rayer le mot "régulation"». Le projet Tafta enterrerait notamment la taxe sur les transactions financières.

Eau et énergie: Ces biens seraient privatisables. Toute municipalité s’y opposant pourrait être accusée d’entrave à la liberté de commerce. Le prix du gaz et du kW serait libre. La fracturation hydraulique pourrait devenir un droit pour les sociétés voulant exploiter du gaz de schiste, qui pourraient exiger des dommages et intérêts auprès des pays qui s’y opposent.

Services publics: Le Tafta limiterait le pouvoir des États de réglementer et d’offrir à tous des services publics tels que les services à la personne, les transports ferroviaires.

Enseignement: Les universités privées pourraient attaquer en justice l’Education nationale pour concurrence déloyale. Et de la maternelle au doctorat, les sociétés privées contesteraient aux écoles toute subvention municipale, régionale ou nationale.

La position des partis luxembourgeois

Nous voudrions connaître votre position» : pour ou contre l’arrêt immédiat des négociations du TTIP; et pour ou contre votre engagement à voter contre le TTIP. Le collectif Stop Tafta a adressé cette demande à tous les candidats luxembourgeois aux élections européennes, explique François Doneux, du collectif, qui présentait, vendredi, la synthèses des réponses obtenues.

Il a d’abord constaté que les candidats n’ont généralement pas désiré répondre en leur nom propre, livrant la position commune de leur parti.

Certains partis, comme le LSAP ou l’ADR, ont tout simplement envoyé leur position officielle. Reste des exceptions : André Hoffmann, Thérèse Gorza, et Justin Turpel, de déi Lénk, Ali Ruckert, Zénon Bernard et Marceline Waringo, du KPL, et Jean Colombera, du PID. Eux seuls se sont exprimés en leur nom propre. Sinon, François Doneux constate deux camps.

 ADR, DP, CSV et LSAP : «oui, sauf si...»

Le DP, le LSAP, le CSV et l’ADR trouvent prématurés de prendre position, le texte de l’accord Tafta n’étant pas encore connu. Ces partis ne sont «a priori pas pour l’arrêt des négociations», sauf si «la ligne rouge est dépassée», c’est-à-dire une menace sur le modèle social, environnemental et économique européen.

Pourtant, «le gouvernement luxembourgeois est continuellement tenu au courant du contenu des négociations par ses représentants à la table des négociations» ajoute Claude Simon, membre du collectif, qui fustige un «manque de courage politique» de la part de ces partis à l’orée des élections européennes.

 Verts, déi Lénk, KPL, PID, Pirates : «non, mais...»

«Déi Gréng est le seul parti au pouvoir à s’engager ouvertement contre le traité», affirme François Doneux. Si les verts ne rejettent pas en soi les négociations commerciales, le texte «qui n’est pas encore "public" prévoit très probablement la libéralisation d’un certain nombre de domaines» que les verts aimeraient garder sous autorité publique. Chez déi Lénk, André Hoffmann s’engage «contre ces négociations secrètes, contre le dogme du marché libre».

Au KPL, plusieurs candidats exigent «l’arrêt immédiat des négociations».

Au PID, Jean Colombera estime que «toutes les négociations avec un pays (USA) qui n’accepte pas les standards sociaux et écologiques de l’UE n’aboutiront pas».

Enfin, le Piratepartei critique le manque de transparence et les «atteintes aux libertés civiles...»


 source: Le Quotidien