Matières premières : l’UE en pourparlers avec le Chili sur un « partenariat stratégique »
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Euractiv | 15 juin 2023
Matières premières : l’UE en pourparlers avec le Chili sur un « partenariat stratégique »
par Frédéric Simon
L’Union européenne finalise la mise à jour de son accord commercial de 2003 avec le Chili et vise à conclure « très bientôt » un partenariat stratégique distinct sur les matières premières avec ce pays d’Amérique latine, d’après la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
L’accord commercial actualisé entre l’UE et le Chili, tout comme l’accord commercial entre l’UE et le Mexique, contient un chapitre sur l’énergie et les matières premières qui ouvre la voie à une coopération plus approfondie dans ces domaines.
Les négociations visant à actualiser l’accord de 2003 ont été conclues avec succès en décembre de l’année dernière et les juristes procèdent actuellement à la « mise au point juridique » du texte. C’est ce qu’a déclaré Leopoldo Rubinacci, haut responsable de la direction générale du commerce (DG Commerce) de la Commission européenne chargé des négociations pour la partie européenne.
L’objectif est de signer l’accord « très rapidement », a-t-il affirmé lors d’un évènement organisé à Bruxelles le mois dernier, suggérant que la signature pourrait avoir lieu lors d’un sommet avec les pays d’Amérique latine qui se tiendra les 17 et 18 juillet à Bruxelles.
L’accord UE-Chili reflète une nouvelle approche en matière de commerce de la part de la Commission, qui cherche à promouvoir des partenariats « gagnant-gagnant » avec des pays tiers dans le domaine de l’exploitation minière et du traitement des matières premières.
L’accord commercial actualisé offre un « meilleur accès » aux entreprises de l’UE qui investissent dans le secteur des matières premières au Chili : les investisseurs européens « seront traités de la même manière » que les entreprises chiliennes « et inversement », avait indiqué la Commission dans un communiqué annonçant la conclusion de l’accord en décembre.
Partenariat stratégique sur les matières premières
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a mis en avant cette nouvelle approche lors d’une visite au Chili mercredi dernier (14 juin), où elle a rencontré le président du pays, Gabriel Boric.
« Le Chili est un très important fournisseur de lithium dans le monde, y compris en Europe », a indiqué Mme von der Leyen dans un discours prononcé aux côtés du président chilien, annonçant que les deux parties avaient convenu de commencer à travailler sur un « partenariat stratégique » dans le domaine des matières premières.
« Nous allons tous deux travailler d’arrache-pied afin de pouvoir signer très bientôt un protocole d’accord pour unir nos forces », a annoncé Mme von der Leyen.
Dans le cadre de ce partenariat stratégique, il sera essentiel de créer une valeur ajoutée locale au Chili plutôt que d’extraire des minerais avant de repartir, comme le font souvent les entreprises chinoises en Afrique, au mépris des droits humains et environnementaux.
« Nous pensons différemment. Nous pensons qu’il est bien plus avantageux pour les communautés locales que l’exploitation et l’extraction se fassent ici, dans le respect de l’environnement, mais aussi que le traitement et l’ensemble de la chaîne de valeur se déroulent ici, au Chili », a expliqué M. von der Leyen.
« Pour ce faire, nous encouragerons le sourçage et l’exploitation minière dans le respect de l’environnement et des moyens de subsistance de vos communautés et nous travaillerons avec vous pour développer l’ensemble de la chaîne de valeur ici au Chili », a-t-elle ajouté.
L’intérêt de l’UE est de commercer avec un partenaire fiable, a expliqué Mme von der Leyen, précisant que l’Europe avait appris la leçon à ses dépens l’année dernière, lorsque la Russie avait fermé le robinet de gaz.
Le lithium, un « avantage comparatif » pour le Chili
Pascal Lamy, ancien commissaire européen au Commerce et ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) travaillant à présent à l’Institut Jacques Delors, estime que le Chili constitue un « cas d’espèce » dans la dynamique plus large des nouveaux accords commerciaux que les États membres de l’UE tentent de conclure avec des pays tiers.
Selon lui, le « partenariat stratégique » en passe d’être conclu avec Santiago marque une évolution par rapport au précédent accord commercial UE-Chili de 2003, qu’il avait négocié, il s’agirait même d’un tout autre type d’accord.
« En ce qui concerne les matières premières, le Chili dispose d’un avantage comparatif particulier qu’il n’avait pas à l’époque, à savoir le lithium », a-t-il expliqué à EURACTIV lors d’un entretien téléphonique. « Il y a vingt ans, le Chili était intéressant pour la production de cuivre et ne rencontrait aucun problème d’exportation. Dans le cas du lithium, le contexte est très différent en raison de la transition mondiale vers l’électrification, la décarbonation et les batteries pour les voitures électriques », a-t-il déclaré.
Par définition, les partenariats stratégiques remontent aux « origines mêmes du commerce », lorsque l’une des parties a quelque chose à exporter que l’autre convoite et ne possède pas, a expliqué M. Lamy. La principale différence réside dans le fait que le nouvel accord commercial entre l’UE et le Chili contient également des clauses sociales et environnementales.
M. Lamy estime que le Chili sera ravi de se conformer aux normes de l’UE.
« La raison en est que le Chili est un pays émergent — en termes de droit social et environnemental, le pays est déjà très proche du modèle européen », a déclaré M. Lamy. « Plus généralement, il est dans l’intérêt du Chili de faire bonne figure et dans l’intérêt de l’UE de donner à ses investisseurs, à ses opérateurs économiques et à ses consommateurs de matières premières l’assurance que l’exploitation minière se fait avec professionnalisme. »
Investissements de l’UE
Du côté de la Commission européenne, M. Rubinacci semble aller dans le même sens : il affirme que le principal avantage pour le Chili réside dans sa capacité à attirer les investissements des entreprises européennes dans le secteur minier, tout en respectant les normes sociales et environnementales.
« C’est là que les capitaux privés entrent en jeu », car les projets miniers seront plus coûteux s’ils respectent des règles sociales et environnementales strictes, a fait remarquer M. Rubinacci lors de son intervention à l’évènement de Bruxelles le mois dernier.
« Si nous voulons disposer de chaînes de valeur résilientes, nous devons soutenir les investissements durables dans les pays tiers », a affirmé le responsable de la DG Commerce. « Les acquéreurs de ces produits recherchent des garanties de durabilité. Ils veulent savoir ce qu’il se passe dans les chaînes de valeur. C’est ce que veulent les marchés », a-t-il précisé.
Dans le même temps, Santiago conservera « toute sa latitude pour décider de la manière dont elle souhaite réglementer le secteur minier », a ajouté M. Rubinacci, illustrant ainsi la nouvelle approche de l’UE en ce qui concerne les matières premières.
En théorie, les partenariats stratégiques sont également plus simples à adopter que les accords commerciaux traditionnels, qui, eux, doivent être ratifiés par tous les États membres de l’Union.
« Du côté européen, il s’agit de trouver la bonne répartition des compétences entre l’UE et le niveau national », a déclaré M. Lamy. Selon lui, s’il y « a un domaine qui nécessite un vote à l’unanimité, c’est comme une goutte de pastis dans l’eau — elle tache toute la bouteille ».
M. Lamy a toutefois mis en garde contre un excès d’optimisme concernant le partenariat stratégique avec le Chili, estimant qu’il était trop tôt pour conclure qu’il profiterait réellement à l’économie locale.
« La concrétisation de ces avantages dépendra de l’application effective du contenu de l’accord », a-t-il précisé.