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Pourquoi il faut stopper l’accord UE-Mercosur et encourager la relocalisation

Photo: The Left / flickr / CC BY-NC-SA 2.0

Libération | 22 mai 2023

Pourquoi il faut stopper l’accord UE-Mercosur et encourager la relocalisation

Face à une Commission européenne qui persiste à vouloir finaliser un accord nocif pour la planète puisqu’il vise à approfondir la mondialisation, le collectif Stop CETA-Mercosur appelle le gouvernement à s’y opposer lors du Conseil des ministres européens du commerce, le 25 mai.

En juillet 2020, alors que la pandémie avait révélé au grand jour les fragilités économiques, sociales et sanitaires nées de la mondialisation, nous appelions à «endiguer le virus du libre-échange à Paris comme à Bruxelles». Trois ans plus tard, les promesses de relocalisation des activités jugées «stratégiques» sont largement restées vaines. Elles sont supplantées par l’irrépressible volonté de la Commission européenne, soutenue par le Medef européen, d’insérer toujours plus d’entreprises, d’activités et d’emplois dans les chaînes d’approvisionnement mondiales par la négociation de nouveaux accords de libéralisation du commerce et de l’investissement. Comme s’il s’agissait de sauver les principes d’une mondialisation pourtant mise à l’index de toute part.

La Commission européenne entend ainsi finaliser la renégociation des accords existants avec le Chili et le Mexique, entamer la ratification de l’accord conclu avec la Nouvelle-Zélande, poursuivre les négociations avec l’Australie, l’Inde, l’Indonésie ou la Thaïlande et, surtout, ressusciter l’accord avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) gelé depuis plusieurs années. Qu’il s’agisse d’exporter plus d’automobiles ou de produits chimiques, d’ouvrir les marchés intérieurs des pays tiers aux multinationales européennes, ou de «sécuriser» l’approvisionnement en matières premières agricoles, minières ou énergétiques, la logique reste la même : supprimer les «obstacles au commerce» (droits de douane, réglementations techniques, normes) quel qu’en soit le prix social, écologique et démocratique.

Officiellement, la doctrine commerciale européenne a pourtant été adaptée à la nouvelle situation. Le principe «d’autonomie stratégique», forgé dans les domaines de la défense et des relations internationales, est désormais appliqué à la politique commerciale : l’UE aurait abandonné toute naïveté et porterait désormais «une propre voie à défendre dans les affaires économiques mondiales». Mais il n’est toujours pas question de relocaliser massivement les activités économiques ni de réduire drastiquement notre dépendance aux marchés mondiaux.

Rien sur le volet agricole

Au contraire, tous ces accords vont augmenter la dépendance de l’économie européenne aux marchés mondiaux. Y compris pour des produits agricoles que nous n’avons pas besoin d’importer (du mouton néo-zélandais ou du bœuf brésilien) ou des ressources minières dont il est dit qu’il faudrait les exploiter sur le sol européen (lithium chilien ou mexicain). Qu’est donc cette «autonomie stratégique» si elle ne permet pas d’assurer que l’économie européenne et nos besoins soient rendus moins dépendants des marchés mondiaux et des ressources des pays du Sud ?

Alors que relocaliser est désormais une condition de survie de nos systèmes économiques et sociaux et que l’opinion publique est de plus en plus réticente à approfondir la mondialisation, la Commission, elle, se démultiplie pour finaliser l’accord UE-Mercosur. Elle s’est dotée d’un «instrument conjoint» qui serait annexé à l’accord. Fuité et analysé par nos soins, cet instrument ne crée aucune nouvelle obligation permettant de répondre aux objections soulevées en matière de climat, de déforestation, de biodiversité ou de protection des droits humains et sociaux : il ne comprend rien sur le volet agricole, pourtant l’un des volets de l’accord les plus critiqués. L’économie générale de l’accord reste totalement inchangée.

Déjà utilisée pour de précédents accords (Colombie, Pérou, Canada), cette stratégie relève du tour de magie : ne rien changer de significatif, affirmer que les problèmes soulevés sont réglés et espérer que les Etats, France comprise, acquiescent. Pourtant, cet accord incarne toujours parfaitement les plus obsolètes des politiques de libéralisation du commerce menées depuis plus de trente ans. Là où il faudrait que les règles du commerce et de l’investissement soient revues et les échanges commerciaux limités au nom de l’impératif écologique, social et démocratique, l’accord UE-Mercosur fait perdurer la logique strictement inverse : les politiques d’intérêt général sont acceptées à condition qu’elles ne contreviennent pas aux règles visant à faire croître le commerce de biens et services, y compris les plus nocifs pour la planète et les populations.

Construire une minorité de blocage

La Commission voudrait finaliser cet accord, ainsi que ceux avec le Chili et le Mexique, en 2023, espérant que le Sommet UE-CELAC des 17 et 18 juillet à Bruxelles soit l’occasion d’annoncer des avancées majeures. En tant qu’organisations membres ou partenaires du collectif national Stop Mercosur, engagées dans les coalitions européennes et transatlantiques de la société civile mobilisées contre ces accords, nous appelons au contraire à mettre fin aux efforts entrepris pour les finaliser à tout prix.

Nous appelons également Emmanuel Macron à construire une minorité de blocage à Bruxelles pour que ces projets ne voient pas le jour. Nous invitons également les parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que les élus des collectivités territoriales, à voter une résolution ou un vœu en ce sens, «contre l’accord UE- Mercosur et pour la relocalisation écologique et solidaire», comme l’ont déjà fait des centaines de collectivités en Europe. Une voie alternative dessinée par les organisations de la société civile existe : empruntons-la d’urgence.

Signataires :

Maxime Combes, économiste à l’Aitec, Alice Picard, co-porte-parole d’Attac France, Sophie Binet, Secrétaire générale de la Confédération générale du travail, Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement, Benoit Teste, secrétaire général de la FSU, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, Murielle Guilbert, Co-deleguée générale de Solidaires, Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France, Jérémie Suissa, Délégué général de Notre Affaire à tous, Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, Erika Campelo, co-présidente de Autres Brésils, Luc De Ronne, Président d’ActionAid, Sandra Cossart, directrice de Sherpa, Anne-Sophie Trujillo Gauchez, Action non-violente COP21, Thibaut Godin, Alternatiba, Adrien Chaboche, Délégué Général d’Emmaus International, Fabien Cohen, secrétaire général de France Amérique latine (FAL), Agnès Golfier, co-directrice, Fondation Danielle Mitterrand, Agnès Renauldon, membre du Bureau collectif de la fédération Artisans du Monde, Marie-Pierre Vieu, coprésidente de la Fondation Copernic, Nicolas Sersiron, président du CADTM France, Sylvain Duez-Alesandrini, Comité de solidarité avec les Indiens des Amériques - CSIA-Nitassinan, Bertrand de Kermel du Comité Pauvreté et Politique, Gilliane Le Gallic, Alofa Tuvalu, Karine Jacquemart, Directrice Générale de Foodwatch France.


 source: Libération