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Souveraineté alimentaire ou libre-échange mondialisé ?

l’Humanité | 27 novembre 2023

Souveraineté alimentaire ou libre-échange mondialisé ?

par Gérard Le Puill

La semaine dernière 524 députés européens sur 630 votants on approuvé l’accord de libre-échange entre les 27 pays membres de l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande. Il prévoit l’importation, sans droits de douanes, de volumes accrus de fruits, de légumes, de viandes, et de produits laitiers en provenance de ce pays lointain. Ce n’est pas ainsi que l’Europe atteindra la neutralité carbone en 2050.

À l’approche de la date d’ouverture de la Cop 28 le 30 novembre à Dubaï, le Parlement européen avait transmis aux journalistes un document de 31 pages avec le détail des dossiers qui devaient être discutés et votés à Strasbourg entre le 20 et le 23 novembre 2023. Y figuraient notamment « le vote sur les nouvelles règles relatives aux emballages et à leurs déchets », puis « le vote de nouvelles mesures pour diminuer la pollution de l’air par les camions et les bus » et beaucoup d’autres encore. Sous titre « Avenir de l’UE : les députés voteront sur des projets de réforme des traités » était-il écrit en prévision des journées du 21 et du 22 novembre. On apprenait plus tard qu‘une large majorité de députés européens des pays membres de l’Union européenne ont approuvé, à cette occasion, le traité de libre-échange entre l’Europe des 27 et la Nouvelle-Zélande.

Le 20 novembre, un communiqué de la Confédération paysanne appelait pourtant ces députés à s’opposer à cet accord. Il avançait pour cela cette série d’argument : « Cet accord prévoit une suppression totale des droits de douanes sur de nombreux produits agricoles: kiwis, pommes, oignons, miel et des contingents importants de viande bovine (10.000 tonnes), viande ovine (38.000 tonnes), beurre (15.000 tonnes), fromages (25.000 tonnes) et lait en poudre (15.000 tonnes) ».

Un consensus hallucinant et inconséquent sur le libre-échange

Dans son argumentaire à l’adresse des députés européens, le texte de la Confédération paysanne posait les questions suivantes : « Comment peut-on cautionner des prix agricoles tirés toujours plus vers le bas ? Comment peut-on décemment être favorable à l’augmentation des échanges commerciaux avec l’autre bout de notre planète qui brule ? (…) Nous fonçons droit dans le mur et vous accélérez ! Accord UE-Australie, accord UE- Mercosur, de nombreux accords de libre-échange sont dans les tuyaux. Ces accords anéantissent tout espoir de relocalisation de notre agriculture pour faire vivre nos territoires et rémunérer le travail paysan. L’heure est gravissime. Le consens actuel vers toujours plus de libre-échange est hallucinant et inconséquent. Le Parlement européen devrait au contraire protéger les paysans de ces marchés dérégulés ».

Malgré cette mise en garde de la Confédération paysanne et d’autres organisations et de personnalités politiques, dont Léon Deffontaines, chef de file de la liste d’union du PCF pour l’élection des députés européens en juin 2024. Il dénonçait ces accords dans son allocution du 19 novembre à la fête de » l’Humanité-Normandie ». Depuis, une majorité de députés européens a approuvé l’accord libre-échange entre l’Europe des 27 et la Nouvelle-Zélande. Du coup, le « Collectif national Stop CETA-Mercosur faisait cette déclaration le 22 novembre :

« C’est avec consternation que nous constatons que 83% des députés européens (524 sur 630 votants) ont approuvé la ratification de l‘accord de libéralisation du commerce UE-Nouvelle-Zélande alors que cet accord va aggraver la crise climatique et fragiliser la situation de l’agriculture paysanne européenne. La campagne d’interpellation menée par les organisations de la société civile n’a pas été vaine : les eurodéputés français des groupe S et D, Verts et GUE ont voté contre cet accord, contrairement aux députés Renew ( Renaissance ) qui ont voté pour cet accord. La France peut encore s’y opposer lors du conseil des ministres du commerce le 27 novembre sans quoi cet accord sera définitivement ratifié et mis en œuvre ».

Vers de nouvelles baisses du prix du lait pour les producteurs

Pendant qu’une forte majorité de députés européens approuvait cet accord de libre-échange qui supprime tout tarif douanier des importations annuelles de 50.000 tonnes de beurre, de fromages et de poudre de lait en provenance de Nouvelle-Zélande, l’Institut de l’élevage (IDELE) anticipait en France un recul du prix du lait au départ de la ferme de 10€ les 1.000 litres cet automne et ce n’est peut-être qu’un début. « L’inflation ralentit désormais, et les négociations commerciales vont débuter avec une pression à la baisse sur les prix alimentaires » analysait Christine Goscianski de l’IDELE, citée par La France Agricole du 17 novembre. Toujours selon Christine Goscianski , en cumul de janvier à août 2023, l’excédent commercial français sur les fromages accuse un « recul marqué de 10% en valeur par rapport à 2022. Les importations de fromages bon marché ont progressé en provenance des Pays Bas, d’Allemagne et d’Italie. Les exportations françaises de fromages ont, quant à elles, reculé de 4% en volume sur la même période ».

Beaucoup de ces fromages français obéissent à un cahier des charges, qui garantit un certain niveau de qualité. Ce n’est pas le cas des fromages râpés et de l’emmental importés qui entrent beaucoup dans la restauration collective et dans les plats préparés en France et qui sont vendus en grandes surfaces. Dans ce contexte de baisse du pouvoir d’achat des ménages en France et en Europe, approuver définitivement l’accord de libre-échange entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande est un calcul de courte vue qui se traduira par un recul de notre souveraineté alimentaire à plus long terme. Le trop bas prix du lait au départ de la ferme rendra de plus en plus difficiles les nouvelles installations alors que plus de la moitié des producteurs de lait de vache en France sont âgés de plus de 50 ans désormais.


 source: l’Humanité