bilaterals.org logo
bilaterals.org logo
   

UE-Mercosur : « Emmanuel Macron n’a rien fait pour enterrer l’accord »

Photo: Collectif Stop CETA Mercosur

Le Monde | 10 décembre 2024

UE-Mercosur : « Emmanuel Macron n’a rien fait pour enterrer l’accord »

par Maxime Combes

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé, le 6 décembre, avoir conclu les négociations de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) commencées il y a vingt-cinq ans. Entrée officiellement en fonction cinq jours plus tôt, la Commission européenne a donc décidé de poser comme premier acte politique fondateur de son nouveau mandat la conclusion d’un accord « viandes contre voitures » qui divise les Etats européens.

L’Allemagne, qui le soutient, n’a trouvé que onze alliés pour signer un courrier favorable à sa conclusion. En plus de la France, les parlements autrichien et néerlandais ont plusieurs fois voté contre, tandis que l’Irlande, la Pologne, ainsi que désormais l’Italie, ont exprimé de vives réserves. La Commission européenne prend donc le risque d’approfondir les divisions européennes, notamment entre les deux principales puissances économiques et politiques de l’UE.

Le choix qu’elle a fait risque d’attiser un peu plus encore la défiance envers les institutions européennes : en France, alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir, deux tiers de nos concitoyens affirment ne plus avoir confiance en l’UE, une hausse de 12 points en deux ans (Ipsos, enquête « Fractures françaises », novembre 2024). La responsabilité de la conclusion des négociations de cet accord de libre-échange est partagée.

En 2019, Paris valide l’accord

Mais entendre aujourd’hui Gabriel Attal et d’autres anciens ministres macronistes faire porter la responsabilité de la décision d’Ursula Von der Leyen sur la censure du gouvernement Barnier, en plus d’être infondée pour quiconque suit d’assez près la Commission européenne, masque mal les propres responsabilités d’Emmanuel Macron. Ce dernier n’a en effet rien fait pour enterrer l’accord.

L’essentiel du contenu de ce dernier a d’abord été conclu, au printemps 2019, avec l’appui explicite du président de la République. En marge du G20 à Osaka (Japon), le 29 juin de cette année-là, il avait salué un « bon accord » respectant « nos normes environnementales et sanitaires », l’accord de Paris sur le climat et « nos filières sensibles ». Sans cet appui initial, nous n’en serions pas là.

Si l’Elysée a, par la suite, changé de position pour s’opposer à l’accord « en l’état », jamais la France n’a pris d’initiative à Bruxelles pour en modifier le contenu de façon substantielle. Franck Riester, par deux fois ministre du commerce, a toujours affirmé qu’il ne fallait pas « jeter à la poubelle » l’accord UE-Mercosur et Olivier Becht, qui a été chargé de l’intermède, disait, en juin 2023, qu’il fallait « se donner du temps » pour « évidemment (le) conclure ».

La Commission européenne s’est d’ailleurs plusieurs fois étonnée des remontrances de l’Elysée. Après tout, Paris n’a jamais exigé de lui retirer le mandat lui donnant la responsabilité de négocier cet accord au nom des 27 Etats membres, donc au nom de la France.
L’accord UE-Mercosur est anachronique

Depuis 2019, les responsables français sont largement restés les bras croisés, alors qu’exiger la réécriture du mandat de négociation aurait pu donner corps et consistance à la promesse d’Emmanuel Macron d’adopter une attitude moins naïve face à la mondialisation (exprimée des deux discours de la Sorbonne de 2017 et de 2024), ainsi que de « bâtir un nouvel accord » avec le Mercosur (formulé au Brésil en avril 2024). Rien de tout cela n’a été fait.

C’est pourtant bien le sujet : quelle politique commerciale doit mener l’Union européenne, alors que la mondialisation se fragmente de toute part et que la guerre commerciale Etats-Unis-Chine est en train de reléguer dans les poubelles de l’histoire ce qu’Emmanuel Macron décrivait comme « le modèle ordolibéral de concurrence et de libre-échange » de l’Europe (discours de la Sorbonne d’avril 2024) ?

Cet accord UE-Mercosur est anachronique parce qu’il procède justement de cette promesse, faite il y a plus de trente ans, selon laquelle la mondialisation, comprise comme la libéralisation des marchés de biens, des services et de la finance, amènerait mécaniquement paix, prospérité et bonheur à l’ensemble des populations de la planète qui en accepteraient les préceptes.

L’industrie européenne moins compétitive

Ainsi, plutôt que de donner des outils aux Etats pour protéger les industries stratégiques, les activités agricoles et les emplois des deux côtés de l’Atlantique, ce projet d’accord libéralise des secteurs clés et réduit considérablement les dispositifs d’intervention publique. L’étude d’impact produite par la Commission européenne montre que les filières industrielles sud-américaines vont en pâtir par manque de compétitivité et que des pertes d’emplois significatives seront à déplorer.

A l’heure où l’UE dit vouloir se réindustrialiser et se protéger de la concurrence chinoise, veut-elle le faire sur le dos d’autres pays de la planète en leur interdisant de se protéger eux-mêmes ? Pour que quelques industries européennes gagnent des parts de marché en Amérique du Sud, plusieurs marchés agricoles européens ont servi de monnaie d’échange.
L’UE veut-elle vraiment générer dans le monde agricole européen ce que l’industrie européenne la moins compétitive a connu depuis trente ans : fermetures, disparitions et désespérance ?

Le tout pour des bénéfices économiques globaux très limités : selon l’étude de la Commission, le gain de PIB [produit intérieur brut] en Europe, à l’horizon de dix ans, est estimé à 0,1 %. Nous avons désormais un retour d’expérience de plus de trente ans. La dérégulation des marchés internationaux et la course au moins-disant social, environnemental et fiscal qu’elle a générée a exercé une puissante pression à la baisse sur les coûts de production.

Procéder à la reconversion écologique et sociale

Ses effets sont bien identifiés : d’un côté, des gains de pouvoir d’achat pour une partie des consommateurs, mais, de l’autre, une désindustrialisation massive de régions entières aux conséquences sociales et politiques désormais manifestes. Ainsi qu’un allongement démesuré des filières d’approvisionnement qui a fragilisé nombre de nos systèmes vitaux, de notre alimentation à nos systèmes de santé. Sans compter enfin l’augmentation de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en trente ans et un effondrement massif de la biodiversité. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Pas vraiment.

Renforcer nos liens culturels, politiques, géopolitiques et mêmes économiques avec les pays du Mercosur n’exige pas de leur vendre des voitures et des pesticides et de leur acheter de la viande de bœuf. Pour atteindre cet objectif, mieux vaut mener une lutte conjointe, déterminée et solidaire contre le réchauffement climatique, la perte de biodiversité et la déforestation.

Ainsi, procéder à la reconversion écologique et sociale des filières les plus nocives, en mettant en commun les ressources minières et les technologies vertes – plutôt qu’en les protégeant par des brevets – et en garantissant des emplois décents aux salariés et aux paysans des deux côtés de l’Atlantique, aurait plus d’allure et d’atouts dans le monde actuel que de confier notre avenir aux marchés internationaux.

Maxime Combes est chargé des politiques commerciales à l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (Aitec), qui travaille sur les politiques de développement.


 source: Le Monde