UE-Mercosur : "Les fourgons européens sont plein de ces accords mal ficelés aux conséquences périlleuses"
Marianne | 4 juillet 2023
UE-Mercosur : "Les fourgons européens sont plein de ces accords mal ficelés aux conséquences périlleuses"
Par Frédéric Farah
La mondialisation déraille, l’économie de la zone euro vacille, la concurrence des pays low-cost se poursuit mais Bruxelles y croit encore : la libre circulation des marchandises et des capitaux devrait faire le bonheur des populations du Vieux Continent, déplore l’économiste Frédéric Farah.
Le très regretté économiste Jean-Paul Fitoussi affirmait que les Etats-Unis étaient le plus grand producteur de doctrines à usage extérieur. S’il est un espace ouvert aux doctrines, c’est bien l’Union européenne qui ne peut se départir de son attachement à un certain libéralisme économique dogmatique. Une preuve : le goût immodéré de l’UE pour les méga-accords commerciaux avec un ensemble de pays, voire avec des ensembles régionaux depuis la première décennie 2000.
La Commission européenne a élaboré une stratégie en la matière dès 2006 sous le nom « Global europe, competing the world ». Des traités ont été conclus et ratifiés avec la Corée du Sud, Singapour, le Japon pour ne citer que ceux-là. Loin de vouloir contrarier la seconde mondialisation, dont le libre-échange est l’un des piliers, l’Union européenne en est devenue une filiale zélée. Cette dernière ne quittera jamais la défense de la globalisation et du libre-échange – c’est le cas depuis déjà 17 ans – ou fera mine de l’amender à la marge, tant elle reste convaincue que c’est la seule voie à emprunter.
L’ancienne Commissaire européenne au Commerce, Madame Malström, affirmait dans une conférence donnée en Afrique du Sud le 17 octobre 2017
« la mondialisation a été une bonne chose à bien des égards reliant les gens diffusant la technologie et l’innovation, les nouvelles formes de media et de connaissances (….). Le commerce a aidé des millions de personnes à sortir de la pauvreté (…). Il est vrai que tout le monde n’a pas bénéficié de tout cela. Cela a plus à voir avec les systèmes fiscaux, les systèmes sociaux et les systèmes de répartition des revenus qu’avec le commerce lui-même. »
Ce credo en faveur du libre-échange est une constante de la politique commerciale de l’Union. Convaincue de sa défense et balayant comme la précédente Commissaire européenne toute critique trop appuyée. Comme un malheur n’arrive jamais seul, les États ont confié à l’Union européenne le destin de la politique commerciale en en faisant une compétence exclusive de cette dernière. Un élément clef de notre souveraineté et de notre réindustrialisation volait alors en éclats. Sans politique de change, commerciale, et monétaire disponible, l’avenir économique du pays s’inscrit en pointillé.
Que l’on songe qu’en 2022, le niveau moyen des droits de douane appliqués à l’importation sur les produits entrant dans l’Union est de 1,48 %. Avant la signature du Traité de Rome en 1957, ce taux atteignait 18 % en France, 26 % en Allemagne. La France par son poids économique et politique, quand elle veut bien peser sur la scène européenne, peut contrarier certaines orientations de cette politique commerciale hors de contrôle. Fait rare, le parlement français a exprimé avec force son opposition à la conclusion d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur c’est-à-dire un ensemble de pays comprenant le Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, et bientôt la Bolivie.
Cet accord, dont les premières négociations ont été engagées il y a plus de 23 ans, et conclu en 2019 ne cesse de faire débat. Le récent sommet du 22-23 juin 2023 tenu à Paris pour un nouveau pacte financier mondial a relancé le débat entre le président Macron et le président Lula sur la ratification de ce traité.
Mais, avant cette rencontre, le parlement français indiquait en avril 2023 qu’au nom de motifs climatiques, sociaux, économiques, le gouvernement français devrait s’opposer à la ratification de cet accord car il est de « de nature à augmenter la déforestation importée et que le règlement européen adopté en décembre 2022 présente encore des lacunes, parmi lesquelles l’absence de prise en compte de toutes les terres boisées et une liste incomplète de produits issus. »
L’assemblée marque aussi sa préoccupation en matière de normes sanitaires et phytosanitaires car il « est susceptible de faciliter l’entrée sur le marché européen de produits alimentaires traités avec des pesticides et des médicaments vétérinaires interdits par la réglementation européenne, ou issus de pratiques d’élevage interdites par la même réglementation. » Pour finir, ajoute le parlement, « ces importations sans obligation de réciprocité des normes de production sont incompatibles avec les enjeux de souveraineté alimentaire et de transition écologique promus par la France. »
Les fondements de l’opposition du parlement révèlent les véritables enjeux des accords commerciaux contemporains à savoir les normes non seulement techniques, mais aussi et surtout sanitaires et phytosanitaires. Au nom d’impératifs économiques, certains pourraient se dire que ces réserves parlementaires devraient être levées. Mais le rapport d’impact du traité semble lui aussi renforcer les réticences. En 2019, le gouvernement avait réuni une Commission sous la direction du professeur Ambec dont le rapport a été rendu en septembre 2020. Les conclusions sont peu encourageantes : « Le présent rapport conclut que l’Accord représente une occasion manquée pour l’UE d’utiliser son pouvoir de négociation pour obtenir des garanties solides répondant aux attentes environnementales, sanitaires, et plus généralement sociétales de ses concitoyens. » Les gains attendus resteront modestes et les risques pour certaines filières comme l’agroalimentaire seraient significatifs.
« Du point de vue européen, la mise en œuvre de l’Accord va probablement induire des gains commerciaux dont l’impact en termes de revenu réel pour les concitoyens européens sera minime, ce qui paraît somme toute logique s’agissant d’un accord bilatéral qui ne concerne que deux groupes de pays, aussi importants soient-ils. Cette vision d’ensemble masque une hétérogénéité entre des secteurs qui enregistreront des gains – essentiellement dans l’industrie et les services – et d’autres qui pâtiront de la concurrence des pays du Mercosur comme les secteurs agricoles et agroalimentaires », poursuit le rapport qui écorche même la méthodologie et les modèles mobilisés pour apprécier l’impact de l’accord. « Il serait souhaitable de disposer d’une modélisation analysant plus finement les secteurs d’activité. En particulier, il serait nécessaire de disposer d’une modélisation qui distinguerait explicitement les différents produits agricoles (intérêts défensifs et offensifs), modéliserait explicitement les différentes politiques commerciales qui leur sont appliquées, avant et après l’entrée en vigueur de l’Accord, mobiliserait les données disponibles les plus récentes et tiendrait compte du Brexit, sous la forme, à cette heure, de scénarios. »
Malgré ces réticences et contestations, il y a fort à parier que l’accord sera ratifié au moyen de rustines diverses, prouvant la préoccupation écologique, sociale ou économique. L’Union européenne a juré ses grands dieux qu’elle voulait s’ériger en puissance, revoir sa logique d’approvisionnement énergétique, protéger ses actifs stratégiques, défendre une souveraineté alimentaire, mais elle ne peut se défaire de son atavisme en faveur du libre-échange. Les peuples sont embarqués dans l’aventure sans pouvoir l’infléchir, il en va de même pour la gestion de la monnaie. Certains pays tireront leur épingle du jeu d’autres en pâtiront. Mais les fourgons européens sont plein de ces accords mal ficelés, mal défendus aux conséquences périlleuses comme celui avec la Nouvelle-Zélande ou pire celui en négociation avec la Chine. Décidément, il ne faut pas imaginer l’Union européenne heureuse.