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UE-Mercosur : un accord anachronique qui obère nos capacités d’adaptation au changement climatique

La Tribune | 24 décembre 2024

UE-Mercosur : un accord anachronique qui obère nos capacités d’adaptation au changement climatique

par Eric Muraille, Philippe Naccache et Julien Pillot (Inseec Grande Ecole, Groupe Omnes Education)

La signature du traité commercial UE-Mercosur a une fois de plus permis de mesurer les divergences entre les États membres de l’UE. Mais surtout, cette signature démontre l’incapacité de la Commission européenne à intégrer les conséquences du dérèglement climatique dans sa stratégie tant politique qu’économique. Cette incapacité obère considérablement les possibilités d’adaptation de l’UE et de ses populations.

L’adaptation n’est plus une option !

De la COP29 sur le climat, à la COP16 sur la biodiversité en passant par la COP16 sur la désertification, les échecs à répétition doivent nous amener à considérer l’impasse dans laquelle se trouve la politique internationale, alors que prévalent désormais, de façon parfaitement assumée, les intérêts particuliers des États - fussent-ils de court terme. Qui peut encore croire que dans une telle situation de blocage, et alors que Donald Trump - dont le climato-scepticisme n’est pas feint - s’apprête à présider de nouveau à la destinée de la 2e puissance émettrice de CO2 du Monde, que les objectifs des accords de Paris seront tenus ? Chaque jour qui passe, le scénario d’un réchauffement planétaire de +4°C par rapport à l’ère préindustrielle prend un peu plus d’ampleur.

Dans ce Nouveau monde, certains pays du Sud, en particulier l’Inde, les pays du Sahel, ou le bassin amazonien, feront face à des conditions climatiques extrêmes. En conséquence, il est à prévoir un effondrement des rendements agricoles, un phénomène connu pour favoriser l’émergence de conflits sociaux et internationaux. Or, ces pays sont d’autant plus vulnérables au changement climatique qu’on les sait pourvus d’une gouvernance jugée fragile.

Les trois pièges de l’accord UE-Mercosur

Certes, l’accord UE-Mercosur n’est pas inintéressant sur le court terme. Il devrait entrainer une baisse des prix agricoles au profit des consommateurs européens, et ouvrir de nouveaux débouchés à nos entreprises sur les marchés sud-américains fortement convoités par la Chine. Cependant, l’absence de prise en compte des risques climatiques susmentionnés par la Commission européenne pourrait, à terme, s’avérer préjudiciable à l’UE.

Le premier piège est de créer une dépendance alimentaire de l’UE envers une région dont, nous l’avons souligné, les rendements agricoles ont toutes les chances de décroitre dans les prochaines décennies. Un effet qui se trouvera amplifié par les difficultés similaires que connaîtront des zones aussi densément peuplées que l’Inde ou les pays du Sahel. Ces tensions affecteront les marchés alimentaires et sont pour le moins préoccupantes.

Le deuxième découle de l’augmentation du trafic maritime transocéanique induit par l’accord UE-Mercosur. L’accroissement des émissions de CO2 n’est pas l’unique problème. L’UE devrait également s’inquiéter d’une possible volatilité des prix des biens alimentaires faisant suite aux variations de prix des hydrocarbures, mais aussi à des conflits nationaux ou internationaux ou encore en cas de pandémies.

Le troisième résulte de la concurrence accrue entre les agriculteurs européens et sud-américains qui pourrait les inciter à se spécialiser pour pousser leurs avantages comparatifs, là où les recommandations scientifiques associent la résilience au changement climatique à une nécessaire diversification de l’agriculture. De plus, cette concurrence accrue a toutes les chances d’accroitre à outrance l’industrialisation de l’agriculture, et avec elle les méga-modèles productivistes aux conséquences sur la santé humaine et des écosystèmes de mieux en mieux documentés. Côté sud-américain, comment ne pas penser que l’augmentation de la demande en terre cultivable va encore accélérer la déforestation du bassin amazonien, augmenter les émissions, réduire les puits de carbone naturel, et perturber le régime des pluies... pourtant indispensable aux productions agricoles du sud de ce bassin ?

Aboutissement d’un processus initié il y a 20 ans - dans un Monde encore largement sourd aux conséquences du changement climatique - l’accord UE-Mercosur ne semble pas compatible avec les engagements de l’UE en matière de soutenabilité et de réduction des émissions de GES. Au contraire, il pourrait faire naître de nouvelles dépendances envers une zone instable politiquement et particulièrement exposée au changement climatique. Quel funeste projet que cette Europe, qui dispose pourtant de nombreux atouts géographiques, technologiques et économiques, soit à ce point incapable de penser sa stratégie d’adaptation au dérèglement climatique en étant le dernier grand acteur institutionnel à promouvoir un libre-échangisme intensif et dérégulé qui, à périmètre technologique constant, semble de plus en plus anachronique.


 source: La Tribune