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Des oligarques russes tentés de recourir à un traité belge pour réclamer des milliards ukrainiens

L’Echo | 20 septembre 2023

Des oligarques russes tentés de recourir à un traité belge pour réclamer des milliards ukrainiens

by NICOLAS KESZEI

Quatre oligarques russes entendent contester la nationalisation d’une banque en Ukraine. Pour cela, le siège de la banque étant un holding luxembourgeois, ils veulent passer par un traité belgo-luxembourgeois.

C’est une affaire rocambolesque que vient de lever Ecolo. A priori, un groupe de quatre oligarques russes, tous proches du président Vladimir Poutine, a l’intention de s’appuyer sur un traité belgo-luxembourgeois pour réclamer plus d’un milliard de dollars à l’Ukraine. Les quatre oligarques ont fait savoir qu’ils comptaient recourir à l’arbitrage international pour récupérer leur dû.

Les verts, par la voix des députés Samuel Cogolati et Wouter De Vriendt, ont décidé de tirer la sonnette d’alarme par rapport à cette situation et comptent interpeller les ministres des Affaires étrangères et des Finances, Hadja Lahbib et Vincent Van Peteghem, afin de voir si la Belgique peut empêcher ces oligarques de réclamer ce montant astronomique à l’Ukraine.

En juillet, l’État ukrainien, sous le coup d’une loi martiale, a décidé de nationaliser la banque ukrainienne Sense Bank. Cette dernière est détenue par le holding luxembourgeois ABH Holdings (ABHH) derrière lequel on retrouve Mikhail Fridman, German Khan, Alexey Kuzmevich et Petr Aven, les actionnaires majoritaires, tous les quatre considérés comme proches du président russe.

Ces quatre hommes d’affaires, placés sous le régime des sanctions décidé par l’Union européenne, estiment que cette nationalisation forcée de Sense Bank les a privés de leurs avoirs, à savoir un investissement annoncé par ABHH de plus d’un milliard de dollars. S’il semble y avoir eu du mouvement dans l’actionnariat récemment, les quatre hommes détenaient ABHH au début de la guerre en Ukraine.

Traité belgo-luxembourgeois

Quand les premières rumeurs de nationalisation de la Sense Bank se sont fait entendre, ABHH a tout de suite laissé entendre qu’il s’appuierait sur le traité entre l’Union économique belgo-luxembourgeoise et l’Ukraine concernant l’encouragement et la protection des investissements pour réclamer les investissements perdus. À cet égard, l’article 4 de ce traité semble donner raison aux oligarques.

"Chacune des parties contractantes s’engage à ne prendre aucune mesure d’expropriation ou de nationalisation", commence l’article, qui précise plus loin que les parties contractantes dont les investissements auraient subi des dommages à cause d’une guerre ont droit à un traitement au moins égal à celui accordé aux investisseurs de la nation la plus favorisée "en ce qui concerne la restitution, l’indemnisation, la compensation ou le dédommagement". C’est sur cette base légale qu’ABH Holdings entend passer à la caisse en initiant un recours devant un tribunal d’arbitrage.

"Les oligarques russes qui se retrouvent - à juste titre - expropriés de leur banque en Ukraine veulent à présent faire usage du traité belgo-ukrainien pour se faire un maximum d’argent sur le dos des contribuables ukrainiens, déjà injustement impactés par la guerre d’agression illégale lancée par la Russie en 2022", regrette Samuel Cogolati.

Mesures urgentes pour protéger l’Ukraine

Dans les jours à venir, Ecolo et Groen comptent interpeller Hadja Lahbib et Vincent Van Peteghem sur cette problématique afin de voir, notamment, s’il est possible de dénoncer le traité en question ou, à tout le moins, tenter d’en suspendre ses effets et, par là même, empêcher les oligarques de réclamer plus d’un milliard de dollars à l’Ukraine. Les verts veulent demander au gouvernement de prendre des mesures urgentes pour protéger l’Ukraine de cette potentielle action en justice.

"La question est de voir comment la Belgique peut protéger juridiquement l’Ukraine des abus de ce traité belgo-luxembourgeois", nous a expliqué Samuel Cogolati avant de préciser qu’il était "hors de question que nous laissions les oligarques russes s’emparer en toute impunité d’un instrument juridique - conclu à l’initiative de la Belgique - pour déposséder le peuple ukrainien".

Reste à voir aujourd’hui ce que pourrait réellement faire l’État belge par rapport à cette problématique. Signé en 1996, le traité est entré en vigueur le 27 juillet 2001 et reste valable pendant dix ans, une période renouvelable si aucune partie ne dénonce le traité au moins six mois avant la fin de sa validité. Comme nous l’a précisé Hakim Boularbah, professeur à l’Université de Liège, même si l’État venait à le dénoncer, le traité contient une "sunset clause". En cas de dénonciation, les investissements consentis avant la date d’expiration du traité resteront couverts pendant une période de dix ans.

Il nous revient que les Affaires étrangères ont été mises au courant de l’affaire par leurs collègues luxembourgeois, mais il semble que la Belgique ne soit pas réellement concernée, le siège de ABHH se situant au Grand-Duché.

Pour le dire simplement, l’État aura fort à faire pour tenter d’interrompre les effets de ce traité qui, dans ce cas présent, risquent bien de profiter aux oligarques russes. Affaire à suivre.


 source: L’Echo