L’UE veut des explications, Washington répondra par le canal diplomatique
Le Monde.fr avec AFP | 30.06.2013
L’UE veut des explications, Washington répondra par le canal diplomatique
Les Etats-Unis "vont répondre de façon appropriée" par les canaux diplomatiques aux demandes d’explication de l’Union européenne, après la révélation du Spiegel d’un programme d’espionnage américain visant l’UE, a annoncé dimanche la Direction nationale du renseignement (ODNI) américain.
"Nous discuterons aussi de ces questions de manière bilatérale avec les Etats membres de l’UE", a déclaré un porte-parole de la direction du renseignement national américain. "Nous n’allons pas faire publiquement de commentaires sur ces allégations concernant des activités de renseignement (...) Les Etats-Unis recueillent certaines informations à l’étranger comme le font tous les pays", a simplement ajouté le porte-parole.
INDIGNATION AU SEIN DE L’UE
Les révélations du Spiegel ont suscité l’indignation au sein de l’UE où, de Bruxelles à Paris en passant par Berlin, fusent critiques et demandes d’explications à Washington. La France a demandé dimanche 30 juin des explications aux Etats-Unis. "Ces faits, s’ils étaient confirmés, seraient tout à fait inacceptables, a déclaré le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. Nous attendons des autorités américaines qu’elles lèvent dans les plus brefs délais les inquiétudes légitimes suscitées par les révélations de la presse."
Dans le même temps, Bruxelles a indiqué qu’elle avait interrogé les autorités américaines et qu’elle attendait leur réponse. "Nous avons pris contact immédiatement avec les autorités américaines à Washington et à Bruxelles et les avons mises face aux informations de presse. Ils nous ont dit qu’ils vérifiaient l’exactitude des informations publiées hier et qu’ils reviendraient vers nous", a indiqué la Commission européenne dans un communiqué.
"Entre partenaires, on n’espionne pas ! On ne peut pas négocier sur un grand marché transatlantique s’il y a le moindre doute que nos partenaires ciblent des écoutes vers les bureaux des négociateurs européens", a déclaré la commissaire européenne à la justice, Viviane Reding, dont les propos ont été rapporté par sa porte-parole. "Les Américains devraient dissiper ces doutes très rapidement", a-t-elle ajouté.
Samedi, le président du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, avait déjà déclaré que "si cela se confirme il s’agit d’un immense scandale". "Cela nuirait considérablement aux relations entre l’UE et les Etats-Unis", avait-il ajouté.
BERLIN RÉCLAME DES COMPTES
A Berlin, la ministre de la justice allemande Leutheusser-Schnarrenberger a aussi réclamé des comptes pour qu’"on nous explique immédiatement et en détail si ces informations de presse (...) sont exactes ou non". "Si les informations des médias sont exacts, ce n’est pas sans rappeler des actions entre ennemis pendant la guerre froide", a-t-elle réagi.
A trois mois des élections législatives, cette affaire pourrait se révéler délicate pour la chancelière Angela Merkel, sommée par l’opposition d’obtenir des explications complètes et rapides des États-Unis, d’autant que l’Allemagne apparaît comme le pays le plus surveillé dans l’Union européenne par l’agence américaine NSA. La NSA enregistre mensuellement 500 millions de connections téléphoniques et internet. La première puissance économique européenne serait ainsi sept fois plus surveillée que la France, par exemple, selon ces documents internes.
"Le gouvernement doit faire la lumière sur ce dossier le plus rapidement possible", a déclaré le principal adversaire politique de Mme Merkel, le chef de file des sociaux-démocrates Peer Steinbrück, cité par Der Spiegel. L’expert des questions de sécurité intérieure des Verts allemands, Konstantin von Notz, a même estimé dans le Spiegel que la "responsabilité politique directe" de la chancelière était engagée. Mme Merkel ne pourra pas se contenter "de s’abriter derrières des platitudes" dans cette affaire, a-t-il affirmé.
Le ministre de l’économie allemand, Philipp Rösler, a déclaré dans un entretien au quotidien Die Welt qu’il partait du principe que ces activités avaient pour seul but la lutte contre le terrorisme mais que l’éventualité d’un espionnage économique "doit être écartée". "Un État de droit démocratique qui emploie des méthodes dignes de la Stasi (la police politique en ex-RDA) perd de lui-même toute crédibilité morale", a tonné Markus Ferber, chef des députés européens de la CSU, branche bavaroise de la CDU conservatrice d’Angela Merkel.
RUPTURE DES NÉGOCIATIONS UE-ÉTATS-UNIS EN QUESTION
Les réactions ont également été vives en France, après que le Spiegel a révélé que l’Union européenne a fait partie des "cibles" de la NSA, accusée d’espionner les communications électroniques mondiales dans le cadre du programme Prism.
Christiane Taubira, la ministre de la justice, a estimé dimanche sur BFMTV que les allégations d’espionnage des institutions européennes par Washington seraient "un acte d’hostilité inqualifiable" si elles étaient avérées. "Entre l’Union Européenne et les Etats-Unis, nous savons à quel point cette histoire est quand même parcourue d’événements heureux, de solidarité, de compréhension et parfois d’incompréhension mais il y aurait là un acte d’hostilité inqualifiable si effectivement les institutions européennes sont sous surveillance des services secrets américains", a déclaré la Garde des Sceaux.
Harlem Désir, premier secrétaire du PS, a qualifié dimanche d’"inacceptable" un espionnage américain des institutions européennes, si celui-ci était confirmé, et a réclamé un accord sur la protection des données personnelles en préalable à un accord avec Washington. "Ça montre que l’Europe ne doit pas être naïve sur ses relations" avec Washington, a-t-il expliqué sur Radio J. "Il faut exiger des garanties sur la protection des données personnelles", a insisté M. Désir. Il s’est dit certain que sa position, exprimée en tant que numéro un du PS, "est en phase" avec celle de l’exécutif.
Dans un communiqué, le député Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS en charge de l’Europe et de l’international, va plus loin : "Si les révélations sur les écoutes américaines des institutions européennes s’avéraient exactes, alors il faudrait a minima suspendre les négociations du traité de libre échange transatlantique." "Incorrigible Amérique qui pense que son bon droit lui permet tous les droits, ajoute l’élu parisien. Peut-on croire que la lutte contre le terrorisme nécessitait l’écoute de parlementaires européens, voire du Conseil ? L’Europe se déconsidérerait si elle passait l’éponge."
Marielle de Sarnez, vice-présidente du MoDem et eurodéputée, a jugé dimanche qu’il fallait une enquête de l’UE sur les informations du Spiegel. "La première urgence est que la Commission européenne - seule institution juridiquement habilité à le faire -, diligente une enquête pour vérifier la véracité de ces accusations d’espionnage", a-t-elle poursuivi. "Je demande également que le président du Parlement européen convoque le représentant de l’administration Obama auprès de l’UE à venir dès la semaine prochaine répondre de ces accusations face aux députés européens", a ajouté la dirigeante centriste. "Si ces faits s’avéraient établis, il faudrait prendre des sanctions très sévères" et d’abord "suspendre les négociations entamées avec les États-Unis en vue d’un accord de libre-échange car les relations diplomatiques et commerciales de Europe avec ses partenaires ne peuvent reposer que sur des relations de confiance", a conclu Mme de Sarnez.
"SNOWDEN, BIENFAITEUR DE L’EUROPE"
Même réaction outrée de la part de Jean-Luc Mélenchon, qui a réclamé, dimanche 30 juin, "l’arrêt immédiat des négociations" commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis. "Les Etats-Unis d’Amérique espionnent l’Union européenne. Or, le mandat de négociation de la Commission européenne en vue d’un marché unique avec les Etats-Unis est resté caché pour les citoyens et les parlementaires, au motif du secret des pourparlers. Je demande [...] la publication du mandat européen", écrit le coprésident du Parti de gauche dans un communiqué.
"Je demande que la France accorde l’asile politique à M. Snowden, bienfaiteur de l’Europe qui a permis de démasquer ce complot", ajoute-t-il.
Pour le député écologiste européen Daniel Cohn-Bendit, il faut également selon lui "interrompre tout de suite" les négociations avec les Etats-Unis. "Ces grands Etats (...) se croient tout permis", a-t-il ajouté. Mais "il faut que ça s’arrête. On ne peut pas, au nom d’une soi-disant protection contre les attentats, surveiller maintenant tous les citoyens, les institutions, le monde politique des autres."
Des députés russes se sont mobilisés dimanche pour Edward Snowden, toujours bloqué dans la zone de transit d’un aéroport de Moscou, considérant qu’une extradition du fugitif vers les États-Unis serait "moralement inadmissible", après que l’Équateur a renvoyé la balle à la Russie sur sa demande d’asile.
L’expulser à la demande des États-Unis serait une erreur, a déclaré le député Alexeï Pouchkov, qui dirige la commission des affaires internationales à la Douma, la chambre basse du parlement. "Ce n’est pas une question d’utilité — c’est une question de principe", a-t-il écrit sur Twitter dimanche. "Livrer un réfugié politique est moralement inacceptable".
"Nous ne pouvons pas rester en marge, nous devrions participer à son sort", a déclaré le sénateur Valery Chniakine, vice-président de la commission des affaires internationales du Conseil de la Fédération, chambre haute du parlement. "Nous devons évaluer les répercussions négatives sur nos relations avec les Américains", a-t-il ajouté dans une déclaration sur le site web de Russie unie, le parti au pouvoir.