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L’UNESCO donne un coup de frein à la marchandisation de la culture

Tribune de Genève

L’UNESCO donne un coup de frein à la marchandisation de la culture

«Reste maintenant à veiller à ce que ce beau traité ne reste pas qu’un tigre de papier»

Michel Egger, Responsable de politique de développement à Alliance Sud, Swissaid, Action de Carême, Pain pour le prochain, Helvetas, Caritas, Eper

le 15 mars 2007

Les biens et services culturels — cinéma, médias, musique, édition, etc. — sont-ils des marchandises comme des autres, soumises aux libéralisations et règles de l’Organisation mondiale du commerce? La question n’est pas anodine à l’heure où la culture prend des allures de marché planétaire en croissance exponentielle.

Un marché galvanisé par l’Internet, marqué par la concentration des médias et la standardisation des produits, dominé par une poignée de pays (Etats-Unis en tête) et de multinationales comme Time Wamer, Sony ou Bertelsmann. Ce qui est en jeu n’est autre que le maintien de la diversité des expressions culturelles, la survie des traditions et identités des peuples.

En 1993, on s’en souvient, lors de la phase finale de l’Uruguay Round qui a donné naissance à l’OMC, les Etats-Unis avaient demandé l’extension des principes du libre-échange au secteur audiovisuel. L’Union européenne avait réussi à faire barrage au nom de «l’exception culturelle». Une victoire fragile et temporaire, dans la mesure où l’offensive américaine (ainsi que dans d’autres Etats comme le Japon) a repris de plus belle dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (OMC) et des traités bilatéraux de libre-échange.

Dans ce contexte, la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, qui entrera en vigueur le 18 mars, marque un tournant. Adoptée en octobre 2005 par 148 pays, malgré l’opposition farouche des Etats-Unis, elle transforme l’«exception» en règle. Il s’agit de facto du premier instrument politique qui consacre dans le droit international la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il a théoriquement une valeur égale à celle des accords de l’OMC et ne peut leur être subordonné.

Les apports de cette convention sont essentiels. D’abord, elle affirme la spécificité des biens et services culturels comme «porteurs d’identité, de valeurs et de sens»; ils ne peuvent donc plus être considérés comme de simples marchandises. Ensuite, elle consacre le droit des Etats à mener des politiques pour soutenir leur secteur culturel, y compris le service public de radio-télévision comme l’a instamment demandé le gouvernement suisse dans les négociations.

Les subventions à la production culturelle ou les quotas d’importation de films ne pourront donc en principe pas être considérés comme des distorsions de la concurrence, punissables par l’OMC. Enfin, la convention appelle à un renforcement de la coopération internationale pour aider les pays pauvres à développer leurs propres industries culturelles. Cela, notamment via un fonds international et un traitement préférentiel accordé aux créateurs du Sud.

Reste maintenant à veiller à ce que ce beau traité ne reste pas qu’un tigre de papier. S’il offre une arme de choix aux défenseurs de la diversité culturelle, la bataille contre l’uniformisation et le tout-au-marché n’est pas encore gagnée.

L’impact de cette convention dépendra de deux choses. D’une part, de son poids politique. Mi-mars, seuls 50 pays l’avaient ratifiée; on est donc encore loin de la masse critique. D’autre part, de sa mise en œuvre effective et de l’engagement des Etats à réaliser le juste équilibre entre intérêts culturels et commerciaux. Ce qui est tout sauf aisé, comte tenu du manque de cohérence des politiques gouvernementales.

A ce propos, la Suisse aurait pu tenir un rôle important, comme elle l’a fait dans l’élaboration de la convention en associant largement la société civile à ses travaux. Elle a été la seule à proposer une contribution obligatoire des Etats au futur fonds de solidarité en faveur des pays pauvres. Malheureusement, empêtrée dans les lourdeurs du système fédéraliste, elle n’a pas encore ratifié le texte.

Elle ne pourra donc pas participer au Comité intergouvernemental chargé de son application, qui sera élu en juin prochain à l’UNESCO. Une exclusion qui la condamne à un rôle marginal pour quatre ans. Dommage quand on est un modèle de diversité culturelle et un bastion du service public audiovisuel!


 source: Tribune de Genève