La Chine, le nouveau grand ami de l’Égypte ?
Le Point | 2 septembre 2015
La Chine, le nouveau grand ami de l’Égypte ?
Sophie Anmuth
Telle une pêche miraculeuse, en effet, au début de l’année, l’Égypte annonçait une invasion de touristes chinois au secours d’un secteur sinistré. Or, après la période des vacances annuelles chinoises, les chiffres sont retombés. Au sommet économique de Charm el-Cheikh, les communiqués font passer de simples mémorandums of understanding pour des accords fermes. « Ce que disent les journaux égyptiens n’est pas toujours vrai. Parfois nous-mêmes sommes surpris des accords que nous avons paraît-il signés », pondère M. Han Bing, chef de la section économique et commerciale de l’ambassade chinoise en Égypte.
La Chine accepte le jeu égyptien de l’amitié des non-alignés
« La Chine est intéressante pour l’Égypte d’un point de vue géopolitique : elle pourrait utiliser cette relation bilatérale comme un levier dans ses échanges avec les États-Unis », explique Emma Scott, spécialiste des relations sino-égyptiennes. Les pays du Golfe et la Russie sont aussi des alliés que Le Caire ne se prive pas d’exhiber face aux Américains, et ce n’est pas nouveau. Le président déchu issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, avait choisi Pékin pour sa première visite officielle hors de l’Afrique et du Moyen-Orient. Sissi a fait le même voyage peu de temps après son élection, en décembre 2014, lui aussi accompagné d’une troupe d’hommes d’affaires. "La relation sino-égyptienne n’est pour autant pas un partenariat, elle est trop inégale pour cela : les deux pays n’ont pas le même poids politique, diplomatique ou économique", rajoute Mme Scott. L’Égypte exporte vers la Chine, mais toujours peu, pour une valeur d’environ un milliard de dollars. Il s’agit surtout de matières premières, affirme la porte-parole du Conseil égypto-chinois, comme le marbre, le lin, les fruits…
La Chine, une autre Banque mondiale
L’Égypte attend des investissements et la Chine peut s’y prêter, espérant un poids diplomatique en échange. Ces 10 dernières années, la Banque import-export chinoise a fait plus de prêts aux pays africains que la Banque mondiale. À la conférence de Charm el-Cheikh du début de l’année, la Chine a promis des investissements dans l’énergie propre, le tourisme et le canal de Suez. La visite de Morsi se chiffrait à des promesses de 5 milliards, celle de Sissi à 60 milliards.
Des intérêts géostratégiques communs
L’Égypte et la Chine ont aussi des intérêts géostratégiques communs, notamment au Yémen, dans le golfe d’Aden. Un trafic maritime stable est important pour l’Égypte qui tire une grande partie de ses revenus du canal de Suez, et pour la Chine qui dépend de l’exportation de ses marchandises en bateau – et tient aussi, maintenant qu’elle est devenue une grande consommatrice de pétrole, à la stabilité au Moyen-Orient. L’Égypte a participé à la guerre en cours au Yémen. Dès 2008, la Chine déployait des flottes anti-piraterie autour du golfe d’Aden et des côtes somaliennes. Selon une étude réalisée par l’université norvégienne des sciences et de la technologie, de 1989 à 2008, la Chine a vendu plus d’armes à l’Égypte qu’au Soudan et au Zimbabwe - ses clients traditionnels - réunis, faisant de l’Égypte le plus grand marché d’armes en Afrique. Après l’incendie de certains véhicules de police en 2011, la Chine a fourni à l’Égypte des véhicules de police « pour la stabilité du pays » (Han Bing). Selon Emma Scott, le but est à la fois politique et commercial. Politique, comme la Chine est désireuse de protéger ses intérêts à l’étranger et la stabilité des pays concernés, et commercial, pour les nouveaux marchés. L’automobile est l’un des produits que la Chine exporte le plus dans le monde, mais n’a qu’une petite part du marché en Égypte pour le moment.
Des millions de consommateurs dans le marché égyptien et les marchés liés
Les liens économiques se sont renforcés entre Le Caire et Pékin, lentement mais sûrement, depuis les années 1980. La Chine exporte beaucoup vers l’Égypte (pour presque quatre milliards de dollars en 2013), et le pays pourrait également servir de porte d’entrée vers différents marchés, l’Afrique et l’Europe. L’Égypte est en effet sur la « nouvelle route de la soie » dont Pékin s’est entiché depuis 2013. Jushi, par exemple, grand producteur chinois de fibres de verre, est l’une des plus grosses usines de la zone économique spéciale de la région du canal de Suez. Sa branche égyptienne a été établie en janvier 2012, à proximité de Port-Saïd. Les marchés visés sont l’Égypte, le reste du Moyen-Orient, l’Inde et les marchés européens. S’installer dans une zone économique spéciale est essentiel pour les entreprises chinoises. Les deux pays sont très dirigistes et les accords se font de gouvernement à gouvernement. Les produits manufacturés dans la zone économique spéciale de Teda sont à 90 % pour l’exportation, pas pour le marché égyptien, d’après M. Han Bing. Même dans le secteur du textile, la Chine a utilisé les accords commerciaux de l’Égypte avec ses voisins africains pour faciliter ses propres exportations.
Infrastructure, énergie, télécoms
Des collaborations interentreprises sont envisagées entre les deux pays. On cite le domaine de la technologie agricole (irrigation, engrais ; les Chinois sont déjà présents dans le domaine des nourritures animales en Égypte) ou des pièces pour l’industrie automobile (l’Égypte sous-traite déjà pour des marques américaines et allemandes). Le secteur de l’énergie est concerné, bien sûr, notamment dans le domaine de centrales fonctionnant au charbon, la Chine ayant une expertise dans ce domaine et cherchant à diminuer sa production d’énergie à partir du charbon sur son territoire. Rien n’est encore officialisé pour le moment. Les firmes pétrolières chinoises Sinopec ou Star Oil and Gas ont annoncé leur intention de participer à l’exploration et au transport du pétrole. D’autres compagnies s’intéressent particulièrement au solaire et à l’éolien, elles ne sont pas les seules, le photovoltaïque attire beaucoup de firmes internationales qui prospectent en Égypte. La Chine est un grand producteur de panneaux photovoltaïques bon marché. El Sewedy Electrics, une entreprise électrique égyptienne, est justement à l’origine de la création du conseil sino-égyptien. Elle produit avec ses partenaires chinois des transformateurs électriques. Cependant, elle affirme travailler davantage avec l’allemand Siemens. On parle beaucoup d’une ligne à grande vitesse entre Le Caire et Alexandrie. Il est en effet intéressant pour la Chine de trouver de nouveaux marchés pour ses usines de matériel ferroviaire qui cherchent à continuer à tourner. Développer l’infrastructure, en Égypte et dans les pays africains, lui est également utile pour faciliter le transport de ses exportations.
L’éclairage de la réalité
Derrière la propagande officielle, on avoue que malgré les milliards d’investissements annoncés, il est difficile d’attendre beaucoup, pour l’instant, de la Chine. L’Égypte n’est pas particulièrement riche en matières premières ni en main-d’œuvre qualifiée. Les investissements directs à l’étranger chinois en Égypte sont en fait faibles. Le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie, l’Allemagne, la France et les États-Unis (sans parler des paradis fiscaux) sont en fait les plus gros investisseurs. En 2012, la Chine investissait 459 millions de dollars, contre 25 milliards pour les pays européens : seulement 1 % des IDE en Égypte étaient chinois cette année-là. La zone économique spéciale autour du port égyptien d’Ain Sokhna, sur la mer Rouge, avait commencé à attirer beaucoup d’entreprises chinoises (TEDA) (et autres, par exemple les ciments Lafarge). Mais, comme tous les investisseurs, la Chine s’est montrée prudente après le soulèvement de 2011. Han Bing affirme pourtant que la Chine a toujours montré son soutien à l’Égypte, et que la prudence ne les a pas fait plier bagage.
Des investissements qui se font attendre
Les nouveaux investissements ou nouvelles entreprises qui devaient s’implanter dans le cadre de Teda prennent du temps: les négociations au sujet des terrains sont en cours depuis cinq ans, mais les partenaires égyptiens ne sont pas clairs, protestent les Chinois. « Il faut aussi moins de bureaucratie. Et plus de souplesse : pour le moment, une loi nous oblige à avoir un personnel composé de 90 % d’Égyptiens, mais nous avons besoin de personnel chinois », réclame M. Han Bing. « Et il faut assurer un approvisionnement constant en énergie. » Il est vrai que les années précédentes ont vu des coupures massives d’électricité qui ont affecté la production industrielle. L’incertitude des prix de l’énergie (avec son augmentation passée, et d’autres augmentations massives prévues, lors de l’abrogation planifiée des subventions) inquiète également les partenaires chinois.