Le plan secret de la France pour faire échouer l’accord UE-Mercosur
Challenges | 5 mars 2025
Le plan secret de la France pour faire échouer l’accord UE-Mercosur
par Laurent Fargues
Dans une note confidentielle consultée par Challenges, Matignon décrit la stratégie tricolore pour obtenir une renégociation de l’accord commercial européen avec les pays d’Amérique du Sud. Une bataille cruciale pour les agriculteurs et l’écologie.
La lutte contre l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur continue. C’est le sens d’une note confidentielle diffusée le 19 février par le cabinet de François Bayrou à plusieurs ministres. Le projet d’accord a été conclu « politiquement et non juridiquement », y soulignent d’emblée les conseillers du Premier ministre. Avant d’ajouter que le contenu exact du texte n’était même pas public jusqu’au 6 décembre dernier, date de fin des négociations menées par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Plusieurs étapes sont encore nécessaires pour une adoption définitive. Le texte doit être traduit dans les 24 langues officielles de l’Union européenne, puis être présenté au Conseil européen qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement pour une signature « vraisemblablement au début de l’été », anticipe Matignon. Viendront ensuite l’approbation par le Parlement européen, une seconde décision du Conseil européen et enfin la ratification par les Parlements de chaque pays.
Un processus long que la France compte mettre à profit pour faire échouer l’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay). Dans sa version actuelle du moins.
Pas de clause pour les produits agricoles ni de garanties écologiques
« L’objectif de premier rang des autorités françaises est d’obtenir la réouverture formelle des négociations », notent les conseillers de François Bayrou, tout en étant conscient de la difficulté de la tâche. De fait, de nombreuses demandes de Paris n’ont pas été entendues. D’abord, aucun mécanisme spécifique de rétablissement temporaire des droits de douane ordinaires sur les produits agricoles – « clause de sauvegarde » – n’est prévu. Et « les critères de déclenchement de la clause de sauvegarde générale sont tels que cette dernière ne pourra pas couvrir toutes les perturbations de marché susceptibles d’intervenir au détriment des agriculteurs », déplore le cabinet du Premier ministre.
Ensuite, la clause écologique de l’accord est « moins opérante » que celle de l’accord signé en 2023 avec la Nouvelle-Zélande et les engagements pris contre la déforestation sont « dépourvus de sanctions effectives ». Pire, les pays du Mercosur ont obtenu un « mécanisme de rééquilibrage peu explicite et susceptible de réduire significativement la portée des mesures miroirs et de constituer un précédent très préjudiciable à l’Union européenne et à son autonomie de décision ».
Une mobilisation au sein de l’Etat
Dès lors, Matignon sonne la mobilisation générale pour empêcher l’entrée en vigueur de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Avec un véritable plan de bataille. Premier volet : il réclame aux ministères concernés d’établir un document sur le contenu précis de l’accord axé sur les questions agricoles, écologiques et les risques du « mécanisme de rééquilibrage » accordé au Mercosur. Ce document sera ensuite adressé aux capitales européennes susceptibles de soutenir la position de la France, via les ambassades tricolores, ainsi qu’aux parlementaires européens les plus sensibles à la cause.
Déjà, les conseillers de François Bayrou envisagent un courrier cosigné avec les Etats les plus proches des demandes françaises pour alerter la Commission européenne sur « le besoin impérieux de créer un mécanisme de sauvegarde pour les produits agricoles sensibles ». En parallèle, la diplomatie tricolore continue de défendre des mesures relevant de la réglementation européenne indépendantes de l’accord mais visant à en atténuer les effets : « mesures miroirs », règles de contrôle vétérinaire et phytosanitaire et création d’une « force européenne de contrôle sanitaire ».
Constituer une « minorité de blocage »
Deuxième volet de l’action : Matignon demande « que la société civile soit très rapidement mobilisée dans sa double composante, syndicats agricoles d’une part, associations environnementales d’autre part ». Les ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture sont en particulier sollicités pour « se mobiliser fortement en ce sens et rendre compte rapidement des démarches effectuées ». Tandis que le Quai d’Orsay est chargé de battre le rappel « des acteurs de la société civile dans les autres Etats membres ».
In fine, le but de la France est de rallier suffisamment de pays européens pour constituer une « minorité de blocage » qui stopperait la mise en œuvre de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, comme l’a affirmé Emmanuel Macron le 22 février lors de l’inauguration du salon de l’Agriculture. Une telle « minorité de blocage » exige que Paris convainc au moins trois autres pays qui représentaient, avec la France, plus de 35 % de la population de l’Union européenne. Un pari.