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Libre-échange : la bataille du Ceta reprend

La France Agricole | 14 mars 2024

Libre-échange : la bataille du Ceta reprend

par Benoît Devault

Il se faisait presque oublier derrière l’épouvantail du Mercosur, mais l’accord de libre-échange avec le Canada ou le Ceta, revient brutalement sur le devant de la scène. Adopté et en vigueur de façon partielle depuis 2017, l’accord doit encore être ratifié par plusieurs pays membres. C’est le cas de la France qui après un vote favorable mais serré en 2019 à l’Assemblée nationale, s’apprête à passer le texte devant le Sénat, à l’initiative du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste – Kanaky avec un débat et un vote, attendus en séance publique le 21 mars.

Un accord « anachronique »

Les passages préalables en commissions des affaires économiques le 12 mars 2024 et en commission des affaires étrangères le 13 mars 2024 laissent toutefois entrevoir un destin compliqué au texte. Celle des affaires économiques a par exemple émis un avis négatif à la ratification du Ceta. « En dépit de gains sectoriels, il n’a pu qu’en constater les faiblesses : Parlement contourné, retombées macroéconomiques limitées, déstabilisation du secteur bovin disproportionnée, question non résolue des distorsions de concurrence économiques, environnementales et sanitaires », justifie le rapporteur Laurent Duplomb.

Le lendemain, la commission des affaires étrangères rejetait par un amendement, l’article premier du texte relatif à la partie économique, renvoyant au vote en séance publique. Une décision là aussi argumentée, par le rapporteur Pascal Allizard qui espère envoyer ainsi « un signal fort à l’Union européenne en refusant que l’agriculture continue de servir de « monnaie d’échange » » qualifiant en outre l’accord d’« anachronique ». L’interprofession de la viande Interbev a aussitôt salué sur X une décision « cohérente avec la volonté affichée de la France de s’opposer aux échanges commerciaux dépourvus de clauses miroir ».

Plusieurs années de recul

Si ce débat sur le Ceta peut ressembler à d’autres débats sur les accords commerciaux, ce n’est pas tout à fait le cas. Pas encore ratifié, il est en effet déjà en vigueur depuis 2017 soit depuis presque 7 ans. Et les chiffres sur les échanges réalisés sur cette période tendent à donner des arguments aux défenseurs d’une ratification. Alors que le Canada a en effet augmenté ses importations de produits agricoles européens comme le fromage, l’entrée massive de bœuf canadien en Europe n’a, elle, pas eu lieu. Sur le contingent d’environ 50 000 tonnes en viande bovine accordé par l’Union européenne, entre 1 et 3 % ont finalement été utilisés, chiffrant par exemple les volumes à seulement 1 505 tonnes sur l’année 2022. Dans l’autre sens en revanche, les volumes de viande bovine vers le Canada atteignaient 10 155 tonnes sur la même année. La balance commerciale est donc pour l’instant favorable aux Européens.

Côté français, c’est le secteur fromager qui sort gagnant. En comparant les moyennes des périodes préaccord entre 2014 et 2016 et la période 2021 et 2023, on observe une hausse de 72 % des volumes exportés vers le Canada avec une valeur de 55 millions d’euros en 2023.

Des incertitudes pour l’avenir

Mais plusieurs sources d’inquiétude demeurent pour les filières. Car pour expliquer le faible volume des exports du Canada vers l’Europe en viande bovine, il faut s’arrêter sur un obstacle que le Nord-Américain n’a pas su contourner : l’interdiction d’élever ses animaux avec des hormones de croissance. Et si certaines voix jugent compliqué et coûteux de monter des filières dédiées au marché européen quand des pays moins contraignants ouvrent grand leurs portes, rien ne garantit que cette situation perdure dans le temps.

Sur ce sujet, la question des contrôles est également source de controverse avec des failles observées de part et d’autre de l’Atlantique. La propre Commission européenne avait par exemple soulevé des défaillances au cours d’un audit, à propos des contrôles réalisés au Canada, notamment sur le suivi des animaux traités ou non.

Reste par ailleurs les latitudes laissées dans l’accord aux éleveurs canadiens sur l’utilisation de certains dérivés animaux dans l’alimentation des bovins ou encore celle d’antibiotiques activateurs de croissance, qui n’empêchent pas pour l’instant l’entrée dans l’Union européenne. Une situation qui fait d’ailleurs fulminer Patrick Benezit, président de la FNB. « Cet accord est le symbole du manque d’ambition de l’Europe pour son élevage, qu’elle soumet à la concurrence déloyale de viandes interdites à produire sur son territoire ! ».

La France n’est pas isolée

Déjà approuvée par la plupart des pays européens, la ratification de l’accord devra donc passer par l’aval de la France, mais elle n’est pas seule. En effet Belgique, Bulgarie, Chypre, Grèce, Hongrie, Pologne, Slovénie, Irlande, et Italie n’ont pas encore voté. Les récentes contestations du monde agricole sur tout le continent et la défiance accrue aux accords de libre-échange rendent l’avenir du Ceta toujours plus incertain.


 source: La France Agricole