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Projet d’accord de libre-échange Europe-Mercosur : les négociations virent à l’aigre

Le Monde | 14 septembre 2023

Projet d’accord de libre-échange Europe-Mercosur : les négociations virent à l’aigre

Alors qu’une phase de discussions importante doit s’ouvrir vendredi 15 septembre, la rédaction du traité commercial entre l’Union européenne et l’Amérique du Sud fait l’objet de tensions diplomatiques, en particulier entre la France et le Brésil.

Par Bruno Meyerfeld

Aura-t-elle lieu ou pas ? Les plus grandes incertitudes planaient à la veille d’une importante réunion concernant l’adoption de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Prévue à l’origine pour le 15 septembre, celle-ci devait en théorie faire se rencontrer les négociateurs techniques des deux blocs. Mais, le jour précédent, nul ne parvenait à confirmer dans les détails ni sa tenue ni son format.

L’épisode témoigne de la confusion régnant sur ces discussions au sommet. Officiellement, pourtant, cet accord, négocié de haute lutte depuis deux décennies, serait tout proche d’aboutir. En ramenant à zéro les droits de douane sur 90 % des biens commercialisés entre les deux blocs, il officialiserait la création historique d’un marché intégré de 720 millions de consommateurs sud-américains et européens.

En juin 2019, un accord initial avait été trouvé, ouvrant la voie à une adoption pleine et entière. Mais la politique de destruction de l’Amazonie du président Jair Bolsonaro réfréna alors les ardeurs des Européens, et en particulier celles d’Emmanuel Macron, échaudé par les insultes de son homologue d’extrême droite. Les pourparlers ne reprendront finalement qu’avec le retour au pouvoir de Luiz Inacio Lula da Silva, en janvier 2023.

Avec le leader de la gauche brésilienne, la signature ne devait être qu’une formalité. Mais la situation s’est sérieusement corsée. En mars, l’UE a adressé au Mercosur un protocole additionnel au texte original, prévoyant de nouvelles exigences et contraintes en matière de préservation de l’environnement. Une « side letter », qui a illico provoqué la colère de Brasilia et de son nouveau chef.

Une délégation européenne à Brasilia le 21 septembre

Lula, qui juge le texte « inacceptable », n’a pas hésité à hausser le ton face aux Européens et plus spécifiquement face aux Français, dont l’agriculture est jugée trop protectionniste. En juin, en visite à Paris, le Brésilien a torpillé publiquement Emmanuel Macron et les « menaces » de l’UE. « Ce n’est pas facile de négocier avec les Français. Ils veulent que vous lâchiez tout et ils ne lâchent rien. Ils ne pensent qu’à leur petit poulet et à leur vin », a-t-il pesté ensuite en août.

Ces déclarations ont jeté un froid sur les pourparlers. « Franchement, on est assez surpris par cette rhétorique », note un diplomate européen, qui évoque « une tactique de négociation explosive » digne de « Boris Johnson lors du Brexit ». En privé, certains officiels brésiliens se seraient laissé aller à des commentaires plus brutaux encore, allant jusqu’à comparer le protocole additionnel à un « coup de poignard dans le dos », digne du traité de Versailles…

En public, l’Itamaraty, le ministère des affaires étrangères brésilien, joue l’apaisement et évoque auprès du Monde une « atmosphère de discussion confiante et dynamique ». Outre l’hypothétique réunion du 15 septembre, le chef de la diplomatie, Mauro Vieira, a annoncé l’arrivée, le 21 septembre à Brasilia, d’une délégation européenne de haut niveau afin de finaliser le texte. « L’accord est important pour les deux blocs du point de vue géopolitique car il renforce le multilatéralisme et évite à l’Europe et à l’Amérique du Sud d’être piégés dans le duel Chine-Etats-Unis », note Lia Baker Valls Pereira, économiste à la Fondation Getulio Vargas.

Divergences au sein des membres du Mercosur

Mais la défiance demeure. Les Européens refusent de négocier en l’absence de contre-proposition détaillée formulée par des Sud-Américains. Côté brésilien, les gains concrets d’un tel texte – au mieux 0,15 point de croissance supplémentaire du produit intérieur brut sur cinq ans – sont jugés insuffisants et le protocole additionnel est vécu comme une humiliation et une atteinte à la souveraineté nationale. « Il paraît clair que l’Europe utilise l’environnement comme un prétexte pour obtenir des concessions du Mercosur, en particulier pour restreindre les importations de produits agricoles compétitifs venus d’Amérique latine », estime Marcelo Monteiro, professeur d’économie à l’université Anhembi Morumbi, à Sao Paulo.

Autre difficulté, « les grands traités de libre-échange sont très impopulaires depuis la crise financière de 2008 », note le chercheur. Ceux-ci rencontrent l’opposition des organisations non gouvernementales de défense de l’environnement. L’accord « encourage les principales causes de la déforestation au Brésil », comme l’agriculture ou l’exploitation minière en Amazonie, estime ainsi Greenpeace, qui qualifie le texte de « cauchemar pour la nature ».

Des divergences existent enfin au sein des Etats membres du Mercosur sur la teneur de la contre-proposition à soumettre aux Européens. Alors que des élections à haut risque se profilent le 22 octobre en Argentine, avec une possible arrivée de l’extrême droite au pouvoir, la pression ne cesse monter. En marge du G20 de New Delhi, Lula est allé jusqu’à l’ultimatum : « Nous devons arriver à un accord dans les mois à venir. C’est soit oui, soit non ! Ou on fait un accord, ou on arrête de discuter. Parce qu’après vingt-deux ans [de négociation] personne n’y croit plus ! », a tranché le Brésilien.


 source: Le Monde