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« Prospérité pour une élite, pauvreté pour le plus grand nombre », l’OMC et les accords de libre-échange mondiaux ont trahi les peuples

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La Via Campesina | 29 novembre 2021

« Prospérité pour une élite, pauvreté pour le plus grand nombre », l’OMC et les accords de libre-échange mondiaux ont trahi les peuples

Vendredi dernier (26 novembre), la 12e Conférence ministérielle sur le commerce (MC12) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui devait se tenir à Genève du 30 novembre au 3 décembre, a été reportée jusqu’à nouvel ordre en raison de la pandémie. Aucune date n’a été fixée pour la reprogrammation de la Conférence ministérielle. La Via Campesina a, depuis longtemps, appelé à une sortie totale de l’OMC des négociations sur l’alimentation et l’agriculture. Vous trouverez ci-dessous la déclaration officielle du mouvement mondial qui énumère l’impact destructeur des politiques de libre-échange promues par cet organisme commercial multilatéral et insiste sur la nécessité d’une alternative ancrée dans les principes de la souveraineté alimentaire.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; le plus fervent défenseur du commerce de libre-échange mondial, peine à trouver sa crédibilité dans un monde dévasté par les inégalités, la faim, l’extrême pauvreté, les guerres et une pandémie sans précédent.

Voici un rapide bilan des trois dernières décennies, une époque où l’OMC figurait au premier rang de l’élaboration de règles commerciales multilatérales visant à renforcer la « coopération mondiale ».

  • Aujourd’hui, une poignée de sociétés transnationales contrôlent ensemble le secteur de l’agroalimentaire : c’est-à-dire les semences, les produits agrochimiques, les engrais, l’industrie génétique, les aliments et boissons, et la vente au détail de produits alimentaires. La coalition des géants de l’agroalimentaire entre 1996 et 2018 a permis que 60 % des ventes mondiales de semences brevetées soient contrôlées par seulement quatre compagnies. Les chiffres de 2015, 20 ans après l’entrée en vigueur de l’OMC, indiquent que 80 % du secteur agrochimique mondial est resté entre les mains de quatre firmes seulement. Six entreprises dans le secteur du bétail se partagent une grande partie de l’industrie de la reproduction et de la génétique, dix multinationales possédaient presque entièrement l’industrie mondiale des aliments transformés et des boissons, et huit multinationales contrôlaient les points de vente au détail dans le monde entier.
  • Malgré cette emprise des agro-industries sur le système alimentaire mondial, la faim n’a cessé d’augmenter. Plus de 820 millions de personnes sont confrontées à la faim aujourd’hui. Celle-ci continue de grimper, notamment depuis 2015, l’Afrique et l’Amérique latine figurant parmi les régions les plus touchées.
  • Les prix des denrées alimentaires augmentent également ! L’indice des prix des denrées alimentaires, qui suit les prix internationaux des produits alimentaires de base négociés à l’échelle mondiale, s’est établi à 133,2 (pour les céréales à 137,1) en octobre 2021, soit le niveau le plus élevé depuis une décennie !

Il est intéressant de souligner que lorsque l’OMC a été créée en 1995, son objectif était censé “aider ses membres à utiliser le commerce comme un moyen de rehausser le niveau de vie, de créer des emplois et d’améliorer la vie des gens”. Voici où nous en sommes aujourd’hui ;

  • Des milliardaires possèdent désormais plus de richesses que 60 % de la population de la planète, alors même que 735 millions de personnes vivent dans une extrême pauvreté. Beaucoup d’autres ne sont qu’à une facture d’hôpital ou à une mauvaise récolte de s’y engouffrer.
  • Dans l’ensemble des pays à faible revenu, le salaire quotidien par habitant est inférieur à 5 dollars américains et l’écart entre les personnes ayant des revenus moyen inférieur et celles ayant des revenus moyens supérieurs n’a fait que se creuser.
  • En 2019, près d’une personne sur cinq – soit 20 % de l’ensemble des personnes salariées – n’ont pas gagné suffisamment pour se sortir, eux et leur famille, de l’extrême ou moyenne pauvreté.
  • Selon le (UNHCR) HCNUR, le nombre de personnes déplacées de force, tant à l’intérieur des pays qu’au-delà des frontières, en raison de persécutions, de conflits ou de violations des droits de l’homme, a presque doublé au cours des dix dernières années.
  • La dette mondiale s’élève aujourd’hui à 69 000 milliard de dollars, la plus élevée de l’histoire de l’humanité. Il y a vingt ans, elle s’élevait à 20 000 milliards de dollars. Parallèlement, les services publics souffrent d’un sous-financement chronique. Le dernier rapport de l’UNICEF sur les dépenses sociales indique qu’au moins 26 pays à faible revenu prévoient de réduire les dépenses publiques, jusqu’à 8 % du PIB.

Toutes ces données, qui sont une traduction conservatrice des réalités vécues par les gens, confrontent les prétentions mensongères de l’OMC à faire « sortir des millions de personnes de la pauvreté ». En bref, au lieu de libérer qui que ce soit de la pauvreté, la seule « libération » que la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et l’OMC semblent avoir réalisée est celle des milliardaires. Elle a également « supprimé » les droits de douane qui offrent le peu de protection qu’elle assurait aux producteurs alimentaires ruraux et aux économies des pays en développement.

La 12e conférence ministérielle, quand elle aura lieu, continuera à défendre les élites !

Le parti pris du régime mondial de libre-échange en faveur des nations les plus riches est flagrant dans les discussions qui se déroulent autour de l’agriculture à l’approche de la douzième Conférence Ministérielle, en particulier sur la question du stockage public.

Jugez-en par vous-mêmes : une proposition de solution permanente sur la « mise en place de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire » a été présentée à la Conférence Ministérielle de Bali en 2013, avec un soutien massif des pays en développement. Elle visait à autoriser des subventions nationales illimitées sur le soutien des prix accordé aux agriculteurs dans le cadre des programmes de stockage public dans les pays en développement et les pays les moins avancés. Cette proposition demandait la suppression du plafond de 10 % imposé par l’Accord sur l’Agriculture (AsA).

Comme on pouvait s’y attendre, les pays riches s’y sont opposés. Dans la logique néolibérale, les subventions massives accordées par les pays riches à leurs entreprises agroalimentaires transnationales sont justifiées en tant “qu’incitations commerciales”, tandis que les mêmes subventions accordées par un pays plus pauvre à ses petits producteurs alimentaires locaux sont qualifiées de “distorsion commerciale”. Il n’est donc pas surprenant de savoir que cette proposition de solution définitive a été attaquée par les États-Unis, l’Union Européenne, le Japon, le Canada et l’Australie au cours des sept dernières années. Et ces pays, qui ont une histoire d’oppression coloniale et impérialiste (qui a abouti à la pauvreté dont le monde est témoin aujourd’hui), peuvent faire pression sur l’OMC et ainsi bloquer toute avancée dans ces discussions. Même à la 12e Conférence Ministérielle, des tentatives étaient en cours pour publier une version édulcorée de la “clause de paix de Bali” – un arrangement provisoire convenu en attendant qu’une solution permanente entre en vigueur.

Les politiques commerciales néolibérales qui dominent le monde d’aujourd’hui sont en ruine. Elles n’ont fait que garantir la prospérité à un petit nombre et la pauvreté au plus grand nombre.

À l’heure actuelle, au moins 350 accords régionaux de libre-échange et plus de 3000 traités bilatéraux d’investissement (TBI) sont en vigueur dans le monde. Et toutes les négociations de libre-échange sur l’agriculture et la pêche s’inspirent du très controversé Accord sur l’Agriculture (AA) de l’OMC. Ce cadre mondial prévoit essentiellement la réduction des taxes de douane à l’importation, le retrait des subventions nationales et l’abolition des stocks publics en vue d’assurer la sécurité alimentaire. Par exemple, l’Accord sur l’Agriculture n’autorise que 39 pays – dont 17 pays développés et seulement 22 pays en développement – à recourir à une Protection Spéciale, c’est-à-dire à la liberté d’augmenter les droits de douane à l’importation en cas de flambée subite des importations. La demande en faveur d’un mécanisme similaire pour les pays les moins avancés est tombé dans l’oreille de sourds – encore un autre exemple de l’inégalité des rapports de pouvoir qui caractérise les procédures de l’OMC.

Les conséquences de ces décisions prises par les conseils d’administration de l’OMC sont réelles pour les paysans et les peuples indigènes. Une étude menée par la FAO a mis en évidence une augmentation significative des importations de produits alimentaires dans les pays les plus pauvres. Elle cite l’exemple du Cameroun, du Ghana, du Honduras, du Kenya, du Malawi, du Mozambique, des Philippines, du Sri Lanka et de la Tanzanie, entre autres, où la hausse des importations a souvent attisé la concurrence entre les produits importés et les produits nationaux et entraîné une baisse des prix intérieurs, en particulier lorsque les deux produits sont des substituts.

Au cours des cinq dernières décennies de leur existence, les accords mondiaux de libre-échange n’ont apporté que la faim, les émeutes de la faim, les suicides d’agriculteurs, les crises climatiques, l’extrême pauvreté et la migration de détresse. Ces accords commerciaux ont ouvert la voie à la privatisation, à la déréglementation et au retrait de l’obligation de l’État à fournir des services publics essentiels à sa population. Ils ont eu un impact dévastateur sur les zones rurales en particulier. Les femmes et les enfants sont les plus touchés, car la migration de détresse les oblige à fuir leurs villages et à travailler dans des conditions inhumaines dans les villes. Dans tous les pays, la disponibilité et la qualité des soins de santé et de l’éducation publique ont énormément souffert au cours des cinq dernières décennies, en particulier dans les zones rurales, privant ainsi les femmes, les enfants et les jeunes du droit à une vie décente.

L’acte désespéré de l’agriculteur sud-coréen Lee Kyung Hae, qui a sacrifié sa vie, juste devant le lieu d’une réunion ministérielle de l’OMC à Cancun il y a dix-huit ans, a exprimé de manière tragique ces crises dans les zones rurales du monde entier.

Les gens ripostent ! L’OMC et les ALE hors de l’agriculture !

Les agriculteur·ices indien·nes, qui manifestent dans les rues depuis pile un année, réclament, entre autres, un prix de base minimum garanti par la loi pour leurs récoltes. Les agriculteur·ices qui se révoltent craignent également que les nouvelles négociations commerciales qui se profilent à l’horizon (avec les États-Unis et l’Union Européenne) menacent leur souveraineté alimentaire, leur autonomie et les normes de biosécurité concernant les aliments génétiquement modifiés.

En Indonésie, en Thaïlande, au Japon, aux Philippines et en Corée du Sud, les paysan·nes résistent au CP-TPP, au RCEP, au FTAAP-21 et à toute une série d’autres accords commerciaux régionaux que les grandes puissances économiques mondiales comme les États-Unis et la Chine sont en train de faire adopter.

En Argentine, en Équateur, au Kenya et en Zambie, les citoyen·nes protestent contre la crise de la dette provoquée par le FMI. L’accord UE-Mercosur se heurte à la résistance des paysan·nes et des organisations de la société civile des deux côtés de la scène. Ils signalent que dans les pays du Mercosur, la production de soja, de sucre et de viande, par exemple, s’industrialise de plus en plus, principalement en lien avec le modèle d’exportation massif. Le bassin amazonien d’Amérique du Sud, qui jour un rôle essentiel pour le climat et la biodiversité au niveau mondial, est contraint de se soumettre à ce modèle.

Une alternative ancrée au cœur de la souveraineté alimentaire !

A quoi servent l’OMC et une panoplie de ces accords de libre-échange s’ils ne font que prolonger une habitude coloniale de soumission d’une majorité de la population ? Ces accords de libre-échange, souvent négociés à huis clos aux moyens de processus opaques, sont les symboles persistants de l’impérialisme et du néocolonialisme du XXIe siècle. Les mots du paysan coréen Lee Kyung Hae résonnent à nouveau aujourd’hui à voix haute : « …Les multinationales incontrôlées et un petit groupe de membres puissants de l’OMC mènent une mondialisation indésirable qui est inhumaine, dégradante pour l’environnement, meurtrière pour les agriculteurs et antidémocratique… » avait-il déclaré.

C’est pourquoi La Via Campesina n’a jamais cru à une réforme de l’OMC. Il s’agit d’une organisation dont les principes fondateurs permettent l’expansion d’une nouvelle ère de colonialisme facilité par les accords commerciaux. Ce qui a changé au fil des ans, est probablement l’émergence croissante d’accords commerciaux bilatéraux et régionaux sur les médias qui suivent le même schéma que celui établi par l’OMC, mais en dehors de celle-ci.

Pour La Via Campesina – le mouvement mondial de paysan·nes, d’indigènes, de travailleur·euses agricoles, de migrant·es, de pêcheur·euses et d’éleveur·euses – la seule solution viable pour laquelle nous avons historiquement plaidé est que l’OMC et les ALE restent en dehors de toute discussion sur l’agriculture. La nourriture ne peut être soumise aux caprices et aux fantaisies d’un marché libre où seuls ceux qui en ont les moyens peuvent en profiter.

En tant que mouvement présent dans 81 pays, La Via Campesina a de nouveau appelé à un système commercial fondé sur les principes de la Souveraineté Alimentaire. Nous devons réclamer un système commercial multilatéral qui respecte les alliances politiques, économiques et sociales pour défendre l’indépendance, l’autodétermination et l’identité des peuples qui le composent. Un système construit sur la coopération et la compassion (et non sur la compétition et la coercition comme le pratique actuellement l’OMC). Un système qui libère les peuples du monde de la dette, de la faim, des conflits, de l’inégalité et de la pauvreté. Nous avons besoin d’un système commercial multilatéral où les mouvements sociaux se voient accorder une position d’autorité égale à celle des gouvernements dans la définition des règles commerciales entre les pays, et où les processus pour atteindre un consensus restent transparents, inclusifs et démocratiques.

L’OMC et les ALE hors de l’agriculture !

L’OMC tue les paysan·nes !

Le commerce solidaire maintenant !

La souveraineté alimentaire maintenant !


 Fuente: La Vía Campesina