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Sanctions contre BNP Paribas : Paris met le traité de libre-échange dans la balance

Le Monde | 05.06.2014

Sanctions contre BNP Paribas : Paris met le traité de libre-échange dans la balance

Propos recueillis par Anne Michel

L’exécutif français monte au créneau contre la lourde amende qui pèse sur BNP Paribas, accusée par les autorités américaines d’avoir organisé des transactions avec des pays sous embargo comme l’Iran et le Soudan. François Hollande a écrit au président américain, Barack Obama, dès le 7 avril pour l’alerter sur le « caractère disproportionné des sanctions envisagées ». Mercredi 4 juin, le chef de l’Etat a également brandi le « risque de déstabilisation » de la zone euro, et mis dans la balance les négociations en cours sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Dans un entretien au « Monde », Michel Sapin, le ministre des finances insiste : le différend « pourrait affecter les discussions en cours sur ce traité ».

Autour de François Hollande, le gouvernement est à pied d’œuvre pour défendre BNP Paribas dans la procédure judiciaire en cours aux Etats-Unis, pour violation de l’embargo américain sur l’Iran, le Soudan et Cuba. Le New York Times dénonce des pressions sur la justice de son pays…

Michel Sapin : Je suis ce dossier depuis mon arrivée au ministère des finances, le 2 avril. Qu’une banque de l’importance de BNP Paribas connaisse des difficultés dans un autre pays que le sien est un sujet de préoccupation pour le gouvernement. Notre intention n’est pas d’interférer dans le débat judiciaire, qui est l’affaire des juges et des avocats. Mais de défendre la proportionnalité de la sanction par rapport à l’infraction commise.

L’intérêt général pourrait être atteint s’il y avait une disproportion manifeste entre les faits reprochés et la sanction. Ou si cette sanction comportait des dispositions de nature à priver la banque d’une partie de ses capacités d’action pour l’avenir [la justice américaine envisage une interdiction provisoire de l’accès de BNP Paribas au dollar].

Autant il est légitime que la banque soit sanctionnée pour des faits passés, autant il nous paraîtrait anormal qu’elle le soit pour l’avenir.

Avez-vous eu confirmation officielle du montant de la sanction envisagé, de 10 milliards de dollars (7,35 milliards d’euros), révélé par la presse américaine ?

Dans les contacts que j’ai eus avec mon homologue aux Etats-Unis ou avec les autorités américaines, jamais aucun chiffre ne nous a été communiqué. C’est d’ailleurs une des grandes difficultés de ce dossier, qui n’est pas instruit par un magistrat et un seul, mais par plusieurs autorités, certaines de nature judiciaire, d’autres administratives et indépendantes. Celles-ci se superposent et leurs sanctions pourraient s’additionner.

Si le montant avancé par la presse américaine est exact, à un tel niveau d’amende, il y aurait disproportion manifeste.

L’une des clés du dossier, c’est le dollar. Si la banque avait effectué les mêmes transactions en euro, tout aurait été légal. Le temps n’est-il pas venu de promouvoir l’euro dans les échanges internationaux ?

C’est un point capital. Il revient à la justice d’apprécier les faits et nous ne contestons pas le fait que le droit américain s’applique. Mais nous observons que si les faits reprochés s’étaient déroulés en France et en euros, il n’y aurait pas d’affaire !

La place de l’euro dans le commerce international, face à l’hégémonie du dollar, est une question très intéressante pour l’avenir. Nous sommes la première économie du monde et pourtant, ce n’est pas le cas de l’euro.

Dès lors que les Etats-Unis considèrent que les transactions dans leur monnaie peuvent avoir des conséquences judiciaires, je suis favorable au renforcement de l’euro comme monnaie de confiance dans les échanges internationaux.

Serez-vous soutenu ?

Cette affaire peut servir de déclencheur, pour les pays dont les grandes banques internationales sont susceptibles d’être à leur tour concernées par des procédures américaines. Je pense aux principales économies de la zone euro.

Le chef de l’Etat évoque de possibles conséquences sur les négociations du traité de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Qu’en est-il ?

Nous devons les uns et les autres totalement respecter l’indépendance de la justice. Mais nous sommes aussi des partenaires de confiance et il ne faudrait pas que cette confiance soit rompue.

Cela pourrait affecter les discussions en cours sur le traité de libre-échange. C’est une question suivie de près par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius.

Avez-vous des contacts avec BNP Paribas ?

Ils sont réguliers. La banque a pris des décisions lourdes, en interne, pour adapter ses procédures. Un certain nombre de collaborateurs qui avaient participé aux transactions concernées ont été remerciés dans des conditions nettes et claires.

Anne Michel
Journaliste au Monde


 source: Le Monde