Suspendre l’accord d’association UE-Israël
CNCD 11.11.11 | 21 février 2025
Suspendre l’accord d’association UE-Israël
Dans l’Accord d’association entre l’UE et Israël, l’article 2 précise que les relations entre les parties sont fondées sur le respect des droits humains et que ce principe constitue un élément essentiel de l’accord. Au vu des violations graves et répétées de ceux-ci et du droit international commises par Israël dans le Territoire palestinien occupé, l’UE doit suspendre cet accord d’association jusqu’à ce qu’Israël respecte ses obligations internationales, puisqu’elle se targue de fonder son action extérieure sur le respect des droits humains.
Accord d’Association UE-Israël
L’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël est un des huit accords d’association signés par l’UE avec ses voisins de la rive sud-méditerranéenne (Liban, Jordanie, Egypte, Tunisie, Algérie, Maroc, Israël et l’Autorité palestinienne) dans la foulée du partenariat euro-méditerranéen en 1995.
Tout comme pour les autres accords d’association, ses objectifs sont multiples, instaurant à la fois un dialogue régulier en matière de politique et de sécurité entre l’Union européenne et Israël, une coopération économique, commerciale et financière, notamment via l’établissement d’une zone de libre-échange et un accès préférentiel aux marchés respectifs des partenaires, et enfin, une coopération culturelle et en matière de migrations.
Les accords d’association ont un caractère mixte, portant à la fois sur des compétences communautaires et nationales.
L’Accord d’association UE-Israël entre en vigueur en 2000. Il constitue le cadre juridique principal des relations bilatérales entre l’UE et Israël depuis lors.
La mise en œuvre de l’Accord d’association est évaluée lors de conseils d’association annuels au niveau ministériel, et de comités d’association organisés au niveau des hauts fonctionnaires. Entre 2012 et 2022, aucun conseil d’association ne s’est tenu en raison de désaccords sur les violations par Israël du droit international humanitaire et des droits humains. Malgré l’opposition exprimée par la société civile palestinienne et de nombreuses ONG internationales, les réunions ont repris en octobre 2022.
Clause des droits humains
L’article 21 du Traité de l’Union européenne établit les principes de son action extérieure : « L’action de l’Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations Unies et du droit international ». La suite de l’alinea 1 de l’article souligne en outre que « L’Union s’efforce de développer des relations et de construire des partenariats avec les pays tiers et avec les organisations internationales, régionales ou mondiales qui partagent les principes visés au premier alinéa ».
Les gouvernements belges successifs ont également utilisé ces principes pour guider leur politique étrangère. C’est le cas du gouvernement Arizona dont l’accord de coalition souligne : « Nous défendons vigoureusement l’ordre international, ancré dans le droit international et les accords multilatéraux car nous pensons qu’il s’agit de la seule voie vers une paix et une sécurité durables ».
C’est dans l’esprit de l’article 21 TUE que l’Union européenne a introduit dans la plupart de ses accords bilatéraux une clause dite « de droits humains » ou « démocratique », considérée comme une partie essentielle des accords, et qui permet à une des parties de prendre des mesures lorsque l’autre partie viole ces principes.
Voici ce que stipule l’article 2 de l’Accord d’association UE-Israël : « Les relations entre les parties, ainsi que toutes les dispositions de l’accord lui-même, sont fondées sur le respect des droits humains et des principes démocratiques, qui guide leur politique intérieure et internationale et constitue un élément essentiel du présent accord ».
Le préambule stipule par ailleurs « l’importance que les parties attachent au principe de la liberté économique et aux principes de la Charte des Nations Unies, notamment le respect des droits de l’homme et de la démocratie, qui constituent le fondement même de l’Association ».
L’UE a déjà imposé des mesures appropriées, soit la plupart du temps une suspension partielle, au titre de la clause relative aux droits humains en réponse à des violations extrêmement graves des droits humains dans des pays tiers. L’exemple le plus illustratif est la suspension partielle par l’Union européenne de son accord de coopération avec la Syrie face à crise aigüe de droits humains découlant de la répression de la révolution dans le pays en 2011. Dans sa décision de suspendre, l’UE évoque « la violation manifeste des principes de la Charte des Nations Unies qui constituent la base de la coopération entre la Syrie et l’Union européenne ».
Procédure
L’article 79 de l’Accord d’association stipule que « Si l’une des parties considère que l’autre n’a pas respecté une obligation prévue par l’accord, elle peut prendre des mesures appropriées ».
Sauf si l’urgence le requiert, l’UE doit donc soumettre les informations au Conseil d’association pour parvenir à une solution avec Israël. En cas d’urgence particulière ou lorsque la discussion au sein du Conseil d’association ne conduit pas à une solution, l’UE peut prendre des mesures appropriées, dont la suspension partielle ou totale de l’accord.
La question de savoir si la violation de l’article 2 par Israël constitue un cas d’urgence particulière relève d’une décision politique.
Quant à la décision de suspendre l’Accord d’association, elle doit être prise par le Conseil sur base d’une proposition établie par la Commission ou la Haute représentante pour les relations extérieures, dépendant de leurs compétences (art. 218 TFUE, para 3 & 9). Le Conseil peut également demander à la Commission de présenter une telle proposition, à la majorité simple (art. 241 TFUE). Pour suspendre l’entièreté de l’accord, l’unanimité est requise au Conseil. De même que pour la suspension du dialogue politique. La suspension des dispositions commerciales de l’accord peut quant à elle être prise à la majorité qualifiée des Etats membres (art. 207 TFUE).
Rappelons également qu’en en tant que « gardienne des traités », la Commission européenne a la responsabilité d’assurer que les traités sont respectés et correctement mis en œuvre (Article 17 TUE), en ce compris l’article 2 de l’Accord d’association.
Mise en œuvre
La question du respect du droit international et des droit humains par Israël dans le cadre de l’Accord d’association a rapidement posé question. Deux ans après l’entrée en vigueur de l’Accord d’association UE-Israël, le Parlement européen vote ainsi en faveur d’une résolution demandant à la Commission et au Conseil de suspendre l’Accord d’Association UE-Israël au vu des violations du droit international humanitaire commises par l’armée israélienne lors de la campagne militaire menée dans le Territoire palestinien occupé en 2002. Mais comme précisé plus haut, la décision d’une suspension réside dans les mains du Conseil.
C’est dans le contexte post-7 octobre 2023 que la suspension de l’Accord d’association arrive sur la table du Conseil. En février 2024, l’Irlande et l’Espagne adressent en effet une lettre à la Commission européenne pour lui demander de passer en revue le respect par Israël de ses obligations au regard de l’article 2 de l’Accord d’Association UE-Israël
. La Belgique a soutenu l’initiative de ces deux pays lors des Conseils des Affaires étrangères qui ont suivi. A la mi-février 2025, aucune réponse n’a encore été donnée par la Commission européenne à cette demande. Seul l’ancien Haut représentant Josep Borrell a demandé au Représentant spécial de l’UE pour les droits humains, Olof Skoog, de réaliser une évaluation du respect par Israël de l’article 2 de l’Accord d’association. En novembre 2024, sur base de cette évaluation, le Haut représentant a appelé les Etats membres à suspendre le dialogue politique avec Israël, seule proposition qui relève de sa compétence. Nécessitant l’unanimité des Etats membres, cette proposition de Josep Borrell est restée lettre morte. Un article publié en décembre 2024 par The Intercept révèle que les Etats membres ont reçu l’évaluation de Skoog en amont du Conseil des Affaires étrangères du 18 novembre 2024. L’article révèle que le contenu du rapport Skoog reprend les conclusions existantes de nombreux rapports de l’ONU et comme le révèle The Intercept, « bien que l’évaluation n’ait pas épargné le Hamas et le Hezbollah, les propos les plus virulents ont été réservés aux forces de défense israéliennes ».
En raison des violations graves et systématiques du droit international par Israël, un nombre croissant d’ONG, d’organisations de la société civile et de représentants politiques demandent la suspension de l’Accord d’association. En septembre 2024, plus de 200 ONG et syndicats européens ont lancé une campagne en faveur de la suspension de l’accord. En janvier 2025, plus de 250 parlementaires de 17 pays de l’UE ont exhorté la Commission européenne à revoir l’accord d’association. Le think tank European Council on Foreign Relations a fait valoir qu’une révision du respect de l’article 2 de l’Accord d’association par Israël, telle que demandée par l’Irlande et l’Espagne, était nécessaire pour obliger Israël à rendre compte de ses violations du droit international et pourrait contribuer à créer une voie viable vers une solution politique.
Obligations des Etats membres
L’obligation de suspendre l’Accord d’association ne découle pas seulement d’une conséquence de la violation de son article 2 mais trouve aussi plus largement son fondement dans plusieurs traités et dispositions du droit international public.
Les articles suivants tirés de conventions de droit international humanitaire et des droits humains soulignent la responsabilité des États tiers en cas de violation de celles-ci :
- Article 1 commun aux Conventions de Genève : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ». Le protocole additionnel 1 (1977) reprend cette clause et l’article 89 appelle les États à agir « ... conjointement ou individuellement, en coopération avec les Nations Unies et en conformité avec la Charte des Nations Unies ».
- Convention relative aux droits de l’enfant Article 38(1) « Les Etats parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit international humanitaire qui leur sont applicables dans les conflits armés et qui présentent un intérêt pour l’enfant ».
- Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide Article 1 : « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ».
- Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ICERD), Articles 2 et 3
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), Articles 1 et 12.
- Statut de Rome de la Cour pénale internationale sur la responsabilité pénale individuelle, article 25.3
Par ailleurs, il est d’acceptation générale que le droit international coutumier contient une obligation erga omnes en vertu de laquelle « les États ne peuvent encourager les violations du droit international humanitaire par les parties à un conflit armé. Ils doivent exercer leur influence, dans la mesure du possible, pour faire cesser les violations du droit international humanitaire ». Dans son avis du 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice a fait état de certaines de ces obligations en soulignant qu’Israël a violé certaines obligations erga omnes, c’est-à-dire qui « concernent tous les États » et, « vu l’importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ». Parmi ces obligations « figurent celle de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et celle qui découle de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, ainsi que certaines obligations incombant à Israël au regard du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme » (§ 274).
A ce titre, elle souligne que « Tous les États doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin à toute entrave à l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination résultant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. En outre, tous les États parties à la quatrième convention de Genève ont l’obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention » (§ 279).
Par ailleurs, elle a rappelé que le risque plausible de génocide qu’elle a établi le 26 janvier 2024 dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël pour non-respect de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide à Gaza entraine également l’obligation pour les Etats tiers « d’employer tous les moyens étant raisonnablement à leur disposition pour prévenir le crime de génocide ».
En refusant d’activer l’article 2 de l’Accord d’association malgré les preuves multiples et les condamnations d’Israël pour violation du droit international, l’Union européenne se met non seulement en contradiction avec ses propres valeurs, mais elle entraîne un risque de décrédibilisation pour les clauses de ce type dans l’ensemble des accords bilatéraux qu’elle a ratifiés.
Recommandations
Au vu des violations graves et répétées du droit international et des droits humains et donc de l’article 2 de l’Accord d’association par Israël, et au vu des obligations des Etats membres de l’Union européenne découlant entre autres des récents avis et ordonnances de la CIJ :
- Le Conseil européen doit décider de suspendre l’ensemble de l’Accord d’Association UE-Israël (unanimité), et en particulier le volet commercial de l’accord (majorité qualifiée) ;
- La Commission européenne doit examiner et demander des justifications à Israël pour son absence de respect de l’Accord d’association et proposer des mesures appropriées au Conseil ;
- Le Parlement européen doit utiliser son poids politique pour exercer une pression sur le Conseil et sur la Commission pour qu’ils assument leurs responsabilités.
- Les États membres de l’UE doivent demander à la Commission de rédiger d’ores et déjà une proposition de suspension de l’Accord d’association UE-Israël (majorité simple). Cette proposition devrait ensuite être approuvée par les États membres en cas de non-respect persistant de l’accord par Israël.
- Les réunions du conseil d’association doivent être suspendues tant que les violations de l’article 2 persistent, sauf lorsqu’elles sont convoquées spécifiquement pour traiter de ces violations.
Note politique - Suspendre l’accord d’association UE-Israël