En mars 2009, ont formellement débuté les négociations sur l’Accord économique et commercial global (AECG ou CETA, en anglais) entre le Canada et son deuxième plus grand partenaire économique, l’Union européenne (UE). Le Forum sur le commerce Canada-Europe, un lobby de Toronto, soutenu par 60 directeurs d’entreprises européennes et canadiennes, avait insisté pour la mise en place de ce traité, qui avait, en Europe, reçu les soutiens notables de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel. L’accord a été signé en septembre 2014 et se trouve actuellement en phase de ratification.
Le CETA est un accord global qui inclut le commerce des biens, la propriété intellectuelle, les obstacles techniques au commerce, l’investissement, la coopération règlementaire, les mesures sanitaires et phytosanitaires et la politique en matière de concurrence.
Durant les négociations, nombre de conseils municipaux au Canada, dont celui de Toronto, ont exprimé leur opposition au traité. Ils ont voté des motions demandant que leurs municipalités soient exclues du CETA, par crainte de perdre leur pouvoir décisionnel, notamment en matière de marchés publics, un des intérêts majeurs de l’UE.
De surcroît, beaucoup de groupes de la société civile étaient préoccupés par le règlement des différends investisseur-Etat (ISDS, en anglais), inclus dans l’accord. Ce mécanisme accorde aux multinationales de chaque côté de l’Atlantique le privilège d’attaquer un Etat devant un tribunal arbitral, si une nouvelle loi ou régulation a un impact négatif sur le potentiel d’un de leurs investissements ou de ses gains attendus.
Face à l’indignation des mouvements citoyens européens, la Commission européenne a conçu une nouvelle procédure d’arbitrage, nommée système juridictionnel des investissements, pour remplacer l’ISDS. En février 2016, la Commission a annoncé que ce nouveau mécanisme ISDS serait inclus dans le CETA. Cependant, pour beaucoup de critiques au Canada et en Europe, ce nouveau système n’est juste que de la poudre aux yeux, étant donné qu’il ne s’attaque pas au problème central de l’arbitrage investisseur-Etat. Ils continuent donc à s’opposer à l’ISDS, quelle que soit sa forme.
Par ailleurs, l’ISDS représente une claire menace pour toute mesure visant à contrer le changement climatique. Les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production de pétrole issu des sables bitumineux canadiens sont 23 fois supérieures à celles du pétrole conventionnel. La libéralisation du commerce transatlantique de l’énergie étant partie intégrante du CETA, la production de pétrole issu des sables bitumineux augmentera pour fournir le marché européen. Tout gouvernement aspirant à limiter les flux de pétrole extrait des sables bitumineux, afin de répondre aux enjeux du réchauffement climatique, pourrait se voir attaqué devant un tribunal arbitral par une société pétrolière, en vertu du mécanisme de l’ISDS.
Dans le cadre des négociations, les représentants de l’UE ont demandé la reconnaissance des indications géographiques européennes, telles que le Feta ou certains produits de charcuterie. Des producteurs laitiers au Canada se sont alors inquiétés car les volontés de l’UE les empêcheraient d’utiliser certaines appellations de fromage. Finalement, l’accord a reconnu 173 indications géographiques européennes, sans compter les vins et les liqueurs.
Le CETA pourrait d’ailleurs avoir des conséquences particulièrement néfastes sur les agriculteurs en général. Les multinationales productrices de semences auront à leur disposition des pouvoirs contraignants d’une grande envergure pour maintenir leur contrôle sur les semences. Pis, le traité supprimera presqu’entièrement le droit des agriculteurs à conserver, réutiliser et vendre leurs semences. D’autre part, la suppression des droits de douane sur les produits agricoles engendrera une baisse de revenus pour les agriculteurs, au seul bénéfice des grandes compagnies exportatrices.
Le chapitre du « Commerce transfrontalier des services » prévoit de libéraliser la mobilité de la main d’œuvre. Des permis de travail temporaires pourront être accordés aux travailleurs exerçant certaines professions, d’une partie contractante à une autre. En conséquence, sur le long terme, les emplois permanents seront de plus en plus rares, en raison d’une tendance croissante aux contrats temporaires, et les salaires baisseront, du fait d’une compétition accrue pour les mêmes emplois.
De plus, le CETA institutionnalise la convergence règlementaire entre le Canada et l’UE, ce qui signifie que toute norme sur le commerce des biens et des services fera l’objet d’une coopération. Un comité mixte et le forum de coopération règlementaire ont pour but de gérer l’harmonisation, la reconnaissance mutuelle, ou l’évaluation de la conformité des régulations de chaque coté de l’Atlantique, présentes ou futures, afin de réduire les divergences qui bloquent le commerce. Ce mécanisme limiterait le droit des Etats à règlementer et accorderait un pouvoir règlementaire étendu aux parties prenantes (c’est à dire les multinationales) au processus. En outre, le principe de précaution, un élément central de la politique règlementaire en Europe, est quasiment absent du CETA.
Le 21 septembre 2017, le CETA est entré en application provisoire, après sa ratification par le Parlement européen et qu’il ait reçu la sanction royale au Canada le 16 mai 2017. La majeure partie de l’accord est maintenant en application. Les parlements nationaux des pays de l’UE et, dans certains cas, les parlements régionaux, doivent aussi l’approuver pour qu’il puisse produire tous ses effets. Le controversé mécanisme de règlement des différends entre investisseur et Etat (ISDS, selon son sigle anglais) ne sera mis en œuvre qu’à ce moment-là.
dernière mise à jour : février 2018
Photo : M0tty/CC BY-SA 4.0