Même avant que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne bascule dans son état de crise actuel, les accords bilatéraux de libre-échange étaient devenus un outil de choix pour les intérêts corporatifs et étatiques cherchant à élargir les normes en matière de droits de propriété intellectuelle (DPI). Les DPI confèrent des droits de monopole sur des biens et des services non tangibles — commerce électronique, marques de commerce, programmes informatiques, design, processus de fabrication, formules de médicaments, types de riz. Ces droits donnent aux propriétaires de DPI le pouvoir d’empêcher quiconque de fabriquer ou d’utiliser leur « création ». Ainsi, ils offrent aux compagnies un outil direct pour contrôler une part du marché, pour bloquer la concurrence et pour clôturer des territoires. Ironiquement, alors que les chapitres portant sur les DPI sont des aspects clé de beaucoup d’accord de « libre »-échange et d’investissement, ils ne sont rien de plus que du protectionnisme pour les entreprises transnationales, administré par les gouvernements. Les transnationales soutiennent que sans monopoles, il n’y aurait pas d’innovation. Le partage devrait être interdit ; seul le commerce capitaliste basé sur la propriété privée devrait être la norme.
Avec les accords de libre-échange, les accords bilatéraux d’investissement et les autres formes d’accords directs entre pays, les États-Unis et l’Europe insistent pour que le pays partenaires adoptent leurs normes de protection et d’application en matière de propriété intellectuelle. Ce processus est survenu dans des forums multilatéraux comme l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, mais aussi, et de façon très aggressive, dans des accords unilatéraux, bilatéraux et régionaux — des accords qui vont bien plus loin que l’Accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Les accords de libre-échange mettent en place des normes de type « ADPIC-plus ».
Les États-Unis imposent des brevets sur des plantes et des animaux dans ces accords de libre-échange, alors que l’Union européenne et le Japon, au profit de leurs compagnies de biotechnologie, font pression pour la Convention UPOV, une série de règles sur les brevets qui empêchent les fermiers de conserver leurs semences. Pendant ce temps, les compagnies pharmaceutiques se sont tournées vers les accords de libre-échange comme outils pour imposer des règles plus strictes empêchant la fabrication et le commerce de médicaments génériques. Pour beaucoup de pays et de peuples, ces propositions sont tout simplement révolutionnaires, car cela signifie qu’ils doivent :
– étendre la protection pour les marques de médicaments et limiter les importations parallèles, entravant la disponibilité des médicaments génériques ;
– commencer à breveter les plantes et les animaux, ce qui signifie que les fermiers ne peuvent pas conserver les semences ou reproduire les variétés de poissons ou le bétail ;
– se débarrasser des quotas de diffusion donnant préférence aux productions cinématographiques locales ;
– commencer à breveter les logiciels au détriment des programmeurs locaux et des mouvements pour le « logiciel libre » qui se multiplient à travers la planète comme une alternative abordable à Microsoft ;
– étendre la protection des droits d’auteur, qui causent déjà de sérieux problèmes pour les étudiants, les bibliothèques et les établissements d’enseignement ;
– réprimer le piratage des biens de consommation populaires comme les produits numériques, les vêtements et la musique ;
– faire des infractions aux droits de propriété intellectuelle des actes criminels même si les DPI font partie du code civil.
Grâce aux DPI, les entreprises veulent un contrôle exclusif sur de vastes domaines de la vie. Elles s’attendent à ce que nous leur payons régulièrement des licenses pour utiliser leurs produits et pour rembourser leurs dépenses en recherche et développement. Peu importe toutes les subventions publiques, les réductions d’impôts, les contrats de travail dans les universités, etc., qui paient déjà pour leur R&D. Les lois sur les DPI imposées par la voie des accords bilatéraux transforment la protection des sociétés transnationales, qui sont les vraies pirates, en « politique publique ».
Les chapitres de type « ADPIC-plus » sur les DPI dans les accords de libre-échange ont de sérieuses implications pour de larges pans de la société. Ainsi, dans certaines luttes contre les accords de libre-échange, comme celle contre l’accord US-Thailande, des fermiers et des personnes atteintes du VIH-SIDA se sont réunis dans leur opposition contre cet nouvelle menace à leur survie. Des inquiétudes ont aussi été émises à propos de la façon dont les accords de partenariat économique de l’UE incluent des dispositions ADPIC-plus. Pendant ce temps, les peuples indigènes dans beaucoup de pays continuent de revendiquer des modèles alternatifs pour l’utilisation et le partage de la connaissance traditionnelle, qui conteste la logique capitaliste « des droits de propriété intellectuelle » enchâssée dans les accords de libre-échange et d’investissement.
Plus récemment, un nouveau développement dans l’application des DPI a provoqué l’opposition et la controverse, dont des manifestations majeures dans plusieurs ville européennes. En octobre 2011, à la suite d’un processus de négociations secret, l’Accord commercial relatif à la contrefaçon (ACRC) a été signé par certains pays. Ce dernier entrera en vigueur une fois que six pays l’auront ratifié. L’ACRS pourrait potentiellement établir un nouveau cadre juridique international pour l’application des DPI. Les opposants ont critiqué les conséquences de l’accord sur la vie privée, la liberté d’expression et les libertés sur Internet, ainsi que sur la fabrication des médicaments génériques.
dernière mise à jour : mai 2012
Photo : Chile Mejor Sin TLC