Accord de libre-échange avec le Mercosur : le torchon brûle entre paysans et industriels suisses
RT | 30 mars 2018
Accord de libre-échange avec le Mercosur : le torchon brûle entre paysans et industriels suisses
Convaincus que la signature d’un accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur est imminente, les lobbys industriels suisses plaident pour l’accélération des négociations. Mais comme dans l’Union, les agriculteurs se sentent menacés.
Les paysans de la Confédération helvétique sont en colère. L’organisation patronale qui défend les intérêts du commerce et de l’industrie veut en effet accélérer les négociations avec le Mercosur (marché commun rassemblant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie) pour la signature d’un accord bilatéral de libre-échange.
Avec leurs 280 millions d’habitants, les cinq pays de cette communauté économique née en 1991 représentent en effet un débouché tentant pour l’économie suisse, dont le PIB dépend à 40% de ses exportations. Or, en Suisse, on est convaincu que les négociations qui traînent depuis des années entre l’Union européenne et le Mercosur sont sur le point d’aboutir. C’est en tout cas ce qu’affirme Heinz Karrer, président de l’organisation patronale dans une interview publiée le 30 mars par Le Temps, quotidien francophone basé à Lausanne. «Pour notre part, il y a urgence. L’Union européenne (UE) est sur le point de conclure un accord. Sans un accord Suisse-Mercosur, nos exportateurs seront discriminés par rapport à ceux de l’UE», assure-t-il.
Plus loin, il explique qu’il faudrait absorber quelques milliers de tonnes de viande bovine supplémentaires en provenance des pays du Mercosur. Une perspective angoissante pour l’Union suisse des paysans (USP). Fin février, Jacques Bourgeois, son directeur, déclarait dans les colonnes du même quotidien : «Dans un pays où entre trois et quatre exploitations agricoles disparaissent chaque jour et où le revenu paysan se situe autour de 45 000 francs (38 000 euros) par année, l’ouverture du marché suisse représente la mort de l’agriculture indigène.»
Un pays exportateur, mais sans débouchés extérieurs pour son agriculture
L’organisation a d’ailleurs boycotté un sommet consacré à l’avenir de la filière agricole suisse tenu à Lausanne le 20 février. Plus récemment, la directrice du lobby patronal, Monika Rühl, a consterné le milieu paysan par ses déclarations lors d’une interview, le 26 mars, dans la matinale de la première chaîne de la Radio Télévision Suisse. Alors qu’étaient évoquées les difficultés du monde agricole suisse, elle avait livré sa recette radicale : «Je les encourage à s’engager dans d’autres filières, comme celle d’ingénieur, plutôt que dans l’agriculture.» Dans la même interview, elle avait invité les éleveurs mécontents des futurs accords de libre-échange (un accord avec les Etats-Unis est également en court de négociation) à saisir la «chance» que ceux-ci représenteraient pour l’exportation.
Des paroles qui avait choqué et provoqué une réponse de la porte-parole de l’USP Sandra Helfenstein : «Ces déclarations divulguent un très mauvais message. L’agriculture n’est pas une option, mais une nécessité pour notre pays. On ne se nourrit pas de billets de banque. Madame Rühl, elle aussi, doit manger.»
La Suisse pratique un commerce extérieur intensif et traditionnellement excédentaire. En 2016, ses exportations ont représenté une valeur d’environ 254 milliards d’euros, dont la moitié vers l’Europe et principalement l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie. Ses deuxième et troisième clients sont les Etats-Unis et la Chine. Les principaux produits exportés par la Suisse sont les pierres et métaux précieux, les produits chimiques et pharmaceutiques, ainsi que les machines industrielles, sans oublier l’horlogerie.
Les exportations agricoles sont en revanche négligeables et difficiles à quantifier, car elles sont agrégées par l’Office fédéral de la statistiques sous la rubrique «Denrées alimentaires, boissons et tabacs»... au demeurant déficitaire. A titre de comparaison, les exportations globales françaises ont représenté en 2016 un total de 453 milliards d’euros, alors que l’économe française est, selon le critère du produit intérieur brut, quatre fois plus importante que celle de la Suisse.
Difficile de dire si les responsables suisses de l’organisation patronale ont raison quand ils affirment que l’UE et le Mercosur sont sur le point d’aboutir à un accord. L’échéance du mois de mai est certes régulièrement évoquée, mais la plupart des agriculteurs européens sont, eux aussi, vent debout contre ce projet. D’autant plus que les réglementations européennes interdisent la culture d’oléagineux OGM dans l’Union alors qu’elles autorisent les importations massives de tourteaux de soja OGM en provenance d’Amérique latine, notamment d’Argentine et du Paraguay. Très bon marché par rapport aux productions européennes, ces oléagineux constituent une part importante de l’alimentation des animaux d’élevage, notamment le porc et la volaille. Une aberration concurrentielle et sanitaire que les négociations en cours pourraient aggraver.