Accord UE-Mercosur : les négociations s’accélèrent
Le Monde | 24 octobre 2024
Accord UE-Mercosur : les négociations s’accélèrent
Par Virginie Malingre
Cela fait plus de vingt ans que cette affaire perturbe, à intervalles réguliers, la vie politique française. Depuis cet été, on entend de nouveau dire, au sein des institutions européennes, que l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) pourrait être bientôt conclu. L’annonce pourrait même en être faite, imaginent certains, lors du prochain sommet du G20, à Rio de Janeiro (Brésil), les 18 et 19 novembre.
Ces derniers jours, les discussions entre la Commission, qui négocie au nom des Vingt-Sept, et les pays du Mercosur se sont intensifiées. Le commissaire au commerce, Valdis Dombrovskis, s’est d’ailleurs rendu, mercredi 23 octobre, au Brésil, où il devait, d’ici à vendredi 25 octobre, rencontrer plusieurs ministres de la zone sud-américaine.
Pour Michel Barnier, cela ne pouvait tomber plus mal, alors que le premier ministre a déjà du mal à boucler le budget 2025 et que, du Rassemblement national à La France insoumise, les partis politiques français sont quasi tous opposés à un accord avec le Mercosur. L’ex-commissaire européen et ministre de l’agriculture sait à quel point le sujet est explosif et les syndicats agricoles français se sont chargés de le lui rappeler, en annonçant, mardi 22 octobre, une nouvelle mobilisation nationale à compter de la mi-novembre. Arnaud Rousseau, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, a rappelé, à cette occasion, que l’accord UE-Mercosur représentait pour ses troupes une « ligne écarlate ».
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A l’automne 2023, déjà, la Commission voulait croire qu’il était à portée de main et pensait fêter l’événement au sommet du Mercosur, prévu à Rio de Janeiro, le 7 décembre 2023. Valdis Dombrovskis et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, avaient même prévu de s’envoler vers le Brésil, si la réunion devait être concluante. Las ! A Paris, Emmanuel Macron avait une nouvelle fois dit son opposition catégorique, tandis qu’à Buenos Aires le président argentin sortant, Alberto Fernandez, avait finalement préféré laisser la main à son successeur, Javier Milei, tout juste élu mais pas encore en poste.
L’Allemagne a changé de pied
« On ne compte plus les fois où l’on nous a dit qu’on était tout près d’un accord avec le Mercosur », se rassure une source macroniste. En 2019, la Commission était même parvenue à ses fins, mais, sur fond d’opposition croissante des opinions publiques aux traités de libre-échange, l’accord alors signé n’a jamais été ratifié. La France, la première, était montée au créneau pour emmener le clan du non. L’Allemagne, sensible aux sujets de développement durable, avait finalement suivi.
On pouvait alors penser que le dossier était clos. Mais, depuis, la donne a changé et fourni des arguments à ceux qui, comme l’Espagne et l’Italie, sont partisans de nouveaux accords commerciaux. Ne serait-ce que parce que l’UE, pour sa double transition, écologique et numérique, doit multiplier ses sources d’approvisionnement en matières premières stratégiques, si elle ne veut pas se mettre à la merci de la Chine.
La volonté des pays du Sud de mieux maîtriser leur destin – une nouvelle fois affichée lors de la réunion des BRICS, du mardi 22 au jeudi 24 octobre à Kazan, en Russie – a encore fragilisé la position hexagonale. D’autant que, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la croissance européenne est à la peine. Quant à l’Allemagne, paniquée face à la fragilisation de son modèle économique, avec la fin du gaz russe bon marché et la relative fermeture de la Chine où elle déversait voitures et machines-outils, elle a changé de pied.
« Sans la conclusion de l’accord [UE-Mercosur], d’autres puissances pourraient acquérir une influence encore plus forte sur les marchés latino-américains. [Ces] dix dernières années, les entreprises européennes ont perdu en moyenne 15 % de part de marché dans la région », écrivaient, dans une lettre envoyée à la Commission début septembre, onze dirigeants européens, dont le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez.
Conséquence : la France est de plus en plus isolée dans son combat contre l’accord UE-Mercosur. En 2019, elle pouvait compter sur le soutien sans faille de l’Autriche, de l’Irlande ou des Pays-Bas. En 2023, La Haye était déjà moins déterminée. Aujourd’hui, seule Vienne continue de s’exprimer haut et fort à ses côtés. L’Italie, les Pays-Bas ou la Pologne redoutent certes que l’affaire relance la colère du monde rural, après les défilés de tracteurs partout sur le Vieux Continent en début d’année. Mais la Commission travaille à un fonds d’indemnisation des agriculteurs dont elle espère qu’il sera à même de calmer ces inquiétudes.
« Continuer à tirer la corde sans la casser »
Reste à savoir si, malgré l’opposition de la deuxième économie européenne, la Commission serait prête à signer un accord avec le Mercosur. Selon les scénarios, elle pourrait se passer de la voix de Paris, puisqu’un vote des Vingt-Sept à la majorité qualifiée et du Parlement européen pourrait suffire pour qu’il soit adopté. Impensable encore en 2023, cette hypothèse n’est plus exclue aujourd’hui. « La Commission ne concluera pas un accord en cette fin de mandat [dans la foulée des élections européennes du 10 juin, le collège doit être renouvelé]. Elle ne fera rien avant que les nouveaux commissaires soient installés », sans doute le 1er décembre, affirme un diplomate européen.
L’accord UE Mercosur « en l’état, n’est pas [...] acceptable. Nous demandons le respect substantiel des accords de Paris [sur le climat], des clauses miroirs et la protection des intérêts des industries et des agriculteurs européens », a rappelé M. Macron, jeudi 17 octobre. Mais le président est aujourd’hui très affaibli politiquement. Et Mme von der Leyen, qui a été reconduite à la tête de la Commission en juillet, n’a plus besoin de lui pour s’assurer un second mandat.
« Von der Leyen est 100 % favorable à un accord avec le Mercosur », affirme un haut fonctionnaire européen. En décidant, le 2 octobre, de reporter d’un an, à la fin 2025, l’entrée en application du règlement contre la déforestation qui interdit aux Européens d’importer des produits – comme le café, le cacao ou le bœuf – en provenance de terres déforestées, l’Allemande a en tout cas répondu à une demande du Brésil et donné un sacré coup de main aux négociations.
« Personne, ni la Commission, ni la France, n’a intérêt dans cette histoire à ce que la France soit contournée. Si c’était le cas, cela nourrirait encore plus les euroscepticismes. Paris doit continuer à tirer la corde sans la casser », pour obtenir un maximum, confie un proche de l’Elysée. Comme s’il fallait se préparer à faire de la pédagogie pour expliquer à l’opinion pourquoi, finalement, l’accord avec le Mercosur n’est pas si désastreux.