JEFTA : un danger pour l’avenir
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Montreuil/Tokyo, le 26 novembre 2018
JEFTA : un danger pour l’avenir
par CGT & Zenroren
Le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon, le JEFTA [1], doit être soumis à la ratification du Parlement européen dans la semaine du 10 décembre. Après avoir négocié le JEFTA dans l’opacité la plus totale, la Commission européenne et les États membres sous emprise des néolibéraux et des lobbys d’affaire ont fait le forcing pour que ce vote de ratification se tienne avant les élections européennes (on rappelle que le CETA [2] avait été refusé par 40 % des eurodéputés et qu’il est loin d’être acquis que le futur Parlement ratifiera ce genre de traité).
Pour l’Europe, la ratification du JEFTA ne doit intervenir qu’au niveau européen et non au niveau des différents États membres car la partie tribunal d’arbitrage ISDS [3] qui l’aurait rendu de compétence mixte a été sortie du texte, avec l’accord du Japon, juste avant sa signature.
Le « progrès » par rapport au CETA ne réside qu’en la dénomination de son organe, moins hypocrite que celle du CETA (un simple « forum »). De façon similaire à celui du CETA, l’organe de coopération réglementaire du JEFTA, maître de son agenda, est dirigé par des hauts fonctionnaires nommés par la Commission européenne et le Japon, sans aucune barrière digne de ce nom vis à vis du conflit d’intérêt. Le lobbying des entreprises transnationales et de leurs organisations est dûment reconnu et institué et les élus en sont exclus. La coopération réglementaire pourra ainsi préparer et quasiment « faire la loi » de façon contraignante, en amont de tout principe de démocratie.
Conformément à sa nature d’accord de libre-échange, l’objet du JEFTA est l’élimination de toute entrave au commerce et à l’investissement, les seules valeurs réellement contraignantes dans le texte de ce traité. Comme tout texte néolibéral digne de ce nom qui doit obtenir l’accord des élus et/ou des citoyens, des considérations en prise avec d’autres valeurs sont certes avancées sous forme de belles déclarations de principe ; mais l’analyse du texte du traité débouche inéluctablement sur la conclusion que leur présence n’a d’autre fonction que celle de leurres.
Un exemple ? Contrairement au CETA, le texte du JEFTA fait référence à l’accord de Paris (chapitre 16). Un progrès qui tiendrait compte des critiques formulées pour le CETA ? Pas vraiment : Si on regarde en détail, l’article 16.4.5 stipule : « Rien dans cet accord n’empêche une Partie [UE ou État membre, Japon] d’adopter ou maintenir des mesures déclinant les accords multilatéraux sur l’environnement [par exemple, l’Accord de Paris] auxquels elle est Partie en s’assurant que ces mesures ne sont pas mises en oeuvre d’une manière qui constituerait un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable contre l’autre Partie [Japon, UE ou État membre] ou une restriction déguisée au commerce . In fine l’Accord de Paris est mis sous la coupe des termes du JEFTA !
Autre exemple le droit du travail et plus généralement les droits sociaux. Même motif (empêcher toute entrave au commerce et à l’investissement), même procédé (on réaffirme des engagements de l’État de toute façon pris par ailleurs, en l’occurrence l’OIT), même punition (mettre sous leur coupe l’application des standards de l’OIT). Signalons que le Japon n’a pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l’OIT (celle sur l’abolition du travail forcé et celle sur la discrimination (emploi et profession), cela impliquera que ses deux conventions ne seraient plus applicables dans le cadre du JEFTA. Cette non-ratification de ses deux conventions par le Japon illustre le niveau de considération des droits du travail au Japon et augure donc de sa future propension à estimer dans le cadre de la mise en oeuvre du JEFTA que les droits du travail dans l’UE sont des obstacles au commerce et à l’investissement. Zenroren et la CGT exigent que les conventions 105 et 111 de l’OIT soient ratifiées par le Japon.
En ce qui concerne le principe de précaution, le JEFTA n’en parle pas nul doute que cette absence sera, par exemple, préjudiciable à l’empêchement de la remise en cause par le Japon de la directive OGM, via entre autres le Conseil de Coopération Réglementaire, sachant que le Japon est précisément le pays qui en autorise le plus dans la production et l’alimentation.
En ce qui concerne la propriété intellectuelle (chapitre 14). La protection de la propriété intellectuelle sous toutes ses formes, celles des créateurs culturels certes, mais surtout celles des grandes entreprises avec leurs brevets, copyright, marques, savoir-faire, logiciels, matériels, etc.
À cause de ce renforcement du droit de la propriété intellectuelle auquel s’engagent formellement les Parties, des révélations telles que celle du “Dieselgate”, et donc les mesures correctives qui s’ensuivent pour répondre aux interrogations de l’opinion publique, sont gravement hypothéquées : le JEFTA va rendre impossible pour les organismes de régulation d’obtenir des industriels ou des banques de leur fournir l’accès à leurs équipements informatiques et logiciels pour procéder à des audits de conformité avec les lois nationales, notamment celles qui concernent les domaines de la santé, de l’environnement, des services financiers. Dans cette même partie les actions des lanceurs d’alerte seront impossibles.
Pour le reste c’est l’abaissement des protections, c’est la libéralisation la plus décomplexée, notamment pour l’e-commerce et les services financiers, sans guère laisser de marges pour des politiques plus localisées et non sans impact dans tous les domaines (l’emploi par exemple), un peu comme si Japon et Union européenne constituaient un même territoire administré par des comités hors de tout contrôle si ce n’est celle des lobbys. La protection des données personnelles est en outre insuffisamment garantie.
Face à ce traité, pratiquement établi, en Europe comme au Japon [4], dans la clandestinité dont les conséquences risquent d’être désastreuses des points de vue social, sanitaire et écologique, pour les travailleurs européens comme pour les travailleurs japonais.
La CGT, Confédération syndicale française et ZENROREN Confédération syndicale japonaise demandent aux parlementaires européens de ne pas ratifier le JEFTA et d’exiger des négociations transparentes dans lesquels les syndicats de travailleurs auraient leurs mots à dire.
Footnotes:
[1] Japan-EU Free Trade Agreement - accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne
[2] Comprehensive Economic and Trade Agreement est le traité international de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada
[3] Mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (en anglais Investor-state dispute settlement, (ISDS en abrégé) est un instrument présent dans de nombreux traités de libre-échange, qui permet aux entreprises d’attaquer un État devant un tribunal arbitral international
[4] Le gouvernement japonais a indiqué qu’il prévoyait d’avoir seulement quelques jours de discussion à la commission de la chambre basse pour plus de 570 pages de texte japonais du JEFTA, et il fera de même à la commission de la chambre haute. Cela montre à quel point le JEFTA a un caractère antidémocratique au Japon aussi.