L’Asie sans les États-Unis
Asialyst | 28 novembre 2017
L’Asie sans les États-Unis
par Jean-Raphaël Chaponnière
Pendant sa tournée asiatique, Donald Trump a voulu jouer sur les deux tableaux. Il a renouvelé ses accusations contre les accords internationaux négociés par ces prédécesseurs, tout en présidant à la signature de grands contrats avec des horizons imprécis pour rassurer ses électeurs. Son rejet du Partenariat Transpacifique (TPP), n’a pas marqué la fin de ce vaste traité de libre-échange en Asie. A Danang, les pays qui avaient négocié ses modalités pendant plusieurs années ont tenté de finaliser un « TPP moins un. »
L’Asie s’organise sans les États-Unis qui n’ont plus le même poids dans la région. Lorsqu’à la fin des années 1980, l’économie américaine a basculé vers l’Asie, le PIB américain représentait plus de la moitié du PIB des vingt et un pays de l’APEC, le forum de Coopération économique de l’Asie-Pacifique. Depuis, ce pourcentage est descendu sous la barre des 40 %, tandis que celui de la Chine atteignait 24 %.
Graphique : évolution du PIB des Etats-Unis et de la Chine par rapport au PIB de l’APEC (1980-2017)
Jusqu’à la décision de Donald Trump de se retirer du TPP, l’intégration de l’Asie-Pacifique suivait deux voies : l’une asiatique s’appuyant sur l’ASEAN prolongé par le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), le traité alternatif proposé par Pékin sans Washington ; l’autre américaine commencée avec l’APEC et qui a continué avec le TPP – lequel se réduit désormais au CPTPP (Comprehensive and Progressive Transpacific Partnership), sans la Chine mais sans les États-Unis aussi.
De l’ASEAN au RCEP
L’Association des Nations d’Asie du Sud-Est fête cette année son cinquantième anniversaire. Née pendant la guerre du Vietnam, elle rassemblait des pays redoutant de faire les frais d’une défaite américaine. Dix ans plus tard, la menace vietnamienne ayant disparu, l’économie a pris le pas sur la politique. Si l’ASEAN a intégré ses adversaires, elle craint aujourd’hui d’être marginalisée par la Chine auprès des investisseurs étrangers. Aussi a-t-elle adopté en 1992 un accord de libre-échange, l’Asean Free Trade Agreement (AFTA) et dix ans plus tard, l’ASEAN a engagé la construction d’une « région économique compétitive ».
À partir de 2000, une multiplication d’initiatives nationales a abouti à la signature de nombreux accords de libre-échange (ALE) entre pays d’Asie-Pacifique. Le Japon, qui privilégiait l’approche multilatérale, a signé en 2000 un accord de partenariat économique (EPA*) avec Singapour. En 2004, Pékin a créé la surprise en signant un accord avec l’ASEAN 10. En réaction, le Japon a signé également un accord avec l’ASEAN, imité par la Corée du Sud alarmée de cette concurrence. La prolifération d’accords différents dans leurs modalités, leurs échéanciers, leurs concessions tarifaires et leurs règles d’origine a abouti à l’édification d’un « bol de nouilles », soit un cumul d’accords impraticables par la plupart des exportateurs.
La recherche d’une « voie asiatique » au-delà de l’ASEAN commence à la fin des années 1980. Réagissant à la création de l’APEC et dans le prolongement de sa « Look East Policy », le Premier ministre malaisien propose l’East Asia Economic Caucus (EAEC) rassemblant les seuls pays asiatiques. Sévèrement critiqué par l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, ce projet renommé l’East Asia Economic Caucus devient le dialogue ASEAN + 3 après la crise asiatique.
Infographie : l’architecture économique en Asie-Pacifique
En 2001, l’ASEAN + 3 engendre l’East Asia Vision Group, qui évoque une zone de libre-échange. Une commission placée sous la responsabilité de la Chine propose l’East Asia Free Trade Agreement, un accord plus profond que l’AFTA. Quelques années plus tard, ce projet est relancé par la Corée qui recommande un accord de libre-échange ASEAN plus trois. Parallèlement, le Japon s’appuie sur les travaux d’un think tank établi à Jakarta, l’Economic Research Institute for ASEAN and East Asia, pour proposer le Comprehensive Economic Partnership for East Asia (CEPEA) incluant l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La fusion de ces deux projets aboutit au Regional Comprehensive Economic Partnership qui regroupe seize pays. Le RCEP veut aller au-delà des seules questions commerciales pour répondre aux besoins spécifiques des chaines globales de valeur. Le vingtième round de négociations du RCEP s’est tenu en Corée en octobre et elles continueront en 2018.
De l’APEC au CPTPP
En 1989, les États-Unis ont adhéré à l’APEC, une initiative australienne à l’origine d’un accord régional de libre-échange qui s’est enlisé. Réagissant à ces retards, Singapour, la Nouvelle-Zélande, le Chili et Brunei ont proposé une zone d’échange préférentiel. Une nouvelle initiative qui serait restée sans lendemain si, confrontée à l’enlisement du Doha Round, l’administration américaine ne s’y était pas associée. Sa participation a convaincu onze pays de négocier le TPP, lequel comme son cousin germain transatlantique, le TCIP (ou TAFTA), propose des mesures « derrière la frontière ». Son agenda – à peine caché- était de contenir l’émergence de la Chine.
En se retirant, Donald Trump a ouvert la voie au RCEP voulu par Pékin. Cependant, orphelins des États-Unis, les adhérents du TPP se sont ressaisis et engagé des négociations pour un « TPP moins un », renommé le Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership. Espérant un éventuel retour de l’Amérique, le CPTPP a gelé vingt clauses du TPP, parmi lesquelles le traitement des litiges avec les investisseurs étrangers et la propriété intellectuelle. Trois points restent à débattre : l’échéancier de réformes des entreprises d’État malaisiennes, un article sur les sanctions commerciales contre le Vietnam et la question des règles d’origine pour le Canada. L’accord, qui pourrait entrer en vigueur 60 jours après sa ratification par au moins six pays, n’aura pas le même impact que le TPP : ses gains seront très inférieurs pour le Vietnam, considéré comme le pays qui en aurait le plus bénéficié.
Au-delà, l’intégration asiatique passe par un accord de libre-échange entre la Corée, le Japon et la Chine. Le China-Japan-South Korea Freet Trade Agreement, ou CJK, a été évoqué dès 1999. Quatre ans plus tard, les dirigeants des trois pays lançaient l’étude de faisabilité. Le dossier agricole est le plus épineux : alors que l’agriculture chinoise est peu protégée, les agricultures coréennes et japonaises comptent parmi les plus protégées au monde. Redoutant un accord avec le Japon, La Corée a signé un ALE avec la Chine qui se met en place. Si les trois pays ont ratifié un accord de protection des investissements en 2012, les négociations avancent lentement depuis. Le 12ème round a eu lieu en avril 2017 à Tokyo.