Les Européens veulent tordre le bras de la France sur l’accord UE-Mercosur
Le Figaro | 7 septembre 2024
Les Européens veulent tordre le bras de la France sur l’accord UE-Mercosur
par Rovan, Anne
C’est un autre dossier empoisonné pour le nouveau premier ministre, ancien commissaire européen et ex-ministre de l’Agriculture Michel Barnier. La Commission et les cinq pays du Mercosur - Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie - n’ont jamais été aussi proches d’un accord commercial liant l’UE à cette région du monde. Il est en discussion depuis bientôt un quart de siècle. Après l’accord politique de 2019, il avait dû être rouvert pour tenir compte des oppositions de plusieurs États membres à certains volets et répondre à la politique de déforestation de l’Amazonie menée tambour battant par l’ex-président populiste brésilien Jair Bolsonaro. Les négociations avaient repris, avant qu’Emmanuel Macron ne réclame il y a quelques mois de repartir d’une page blanche. Mais le dossier continue à aller de l’avant.
Ces deux derniers jours, un nouveau round de négociations techniques a eu lieu à Brasilia. Les négociateurs devaient notamment se pencher sur les marchés publics et les questions environnementales. Si aucune fumée blanche n’est attendue à l’issue de ces réunions, la Commission, nombre d’États membres et de dirigeants sud-américains font monter la pression pour un accord rapide. Dans une lettre adressée à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et opportunément révélée vendredi par le Financial Times, pas moins de onze dirigeants européens - dont l’Allemand Olaf Scholz, le Suédois Ulf Kristersson et le Portugais Luis Montenegro - mettent en garde contre un nouveau report. «Dans le contexte de tensions géopolitiques croissantes, il est d’autant plus essentiel de développer des alliances internationales solides», écrivent-ils. Ils pointent le risque de voir d’autres puissances - entendu la Chine - prendre la place que devrait occuper l’UE dans la région. «Sans la conclusion de l’accord, d’autres puissances pourraient acquérir une influence encore plus forte sur les marchés latino-américains, tant sur le plan économique que politique. Au cours des dix dernières années, les entreprises européennes ont perdu en moyenne 15% de part de marché dans la région.»
Alors que l’économie mondiale ralentit dangereusement et que l’Europe décroche, le Mercosur serait un précieux relais de croissance. Un tel accord permettait de créer un marché intégré de premier ordre, comptant près de 800 millions de personnes et générant quelque 4 milliards d’euros d’économies sur les droits de douane. En réalité, la Commission a déjà un calendrier en tête. «L’accord devrait intervenir fin novembre, lors de la réunion du G20 à Rio», confirmait ces derniers jours avec beaucoup d’assurance un fonctionnaire européen.
Les syndicats agricoles sur le pied de guerre
Quid de la France, sous la pression de l’hostilité du monde agricole et des ONG ? En fin d’année dernière, Emmanuel Macron avait douché les espoirs de la Commission en appelant à des normes environnementales plus contraignantes. Et de son côté, le président argentin sortant avait émis des réserves de dernières minutes, manifestement soucieux de passer la main sur le sujet à son successeur, Javier Milei. En début d’année, en pleine crise agricole et alors qu’il effectuait un déplacement au Brésil, Emmanuel Macron avait réaffirmé son opposition, qualifiant l’accord «tel qu’il est aujourd’hui négocié» de «très mauvais accord, pour vous (le Mercosur, NDLR) et pour nous». Il avait alors appelé à bâtir «un nouvel accord (...) responsable d’un point de vue de développement, de climat et de biodiversité».À Bruxelles, on vante au contraire, un texte incluant «des engagements forts pour mettre en oeuvre et respecter les accords multilatéraux sur l’environnement et le travail, tels que la convention sur la biodiversité, l’accord de Paris et les normes fondamentales du travail consacrées dans les conventions de l’OIT».
Il est désormais question de tordre le bras de Paris, du moins de mettre la France devant ses responsabilités. Cette volonté de passer en force s’explique par l’isolement croissant de la France sur le dossier. À l’exception de l’Autriche, les États membres réfractaires se sont ravisés. Elle est aussi une des conséquences de l’effritement du pouvoir d’Emmanuel Macron en France et de son aura en Europe. «Qu’est-ce que Manu va faire vu l’état d’affaiblissement dans lequel il est?», interroge, à dessein, un fonctionnaire européen. Les syndicats agricoles sont, en tout cas, sur le pied de guerre. «Alors que les élections sont passées, l’accord avec le Mercosur est de retour au menu», déplore dans un communiqué la Copa-Cogeca, la principale organisation agricole européenne. Elle estime que le texte actuel affecterait «particulièrement les secteurs agricoles déjà fragiles tels que la viande bovine, la volaille, le riz, le sucre... et l’éthanol». Le collectif Stop Ceta-Mercosur appelle le président français à «obtenir l’arrêt de négociations et à retirer l’appui de la France au mandat de négociations dont la Commission européenne dispose».