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Libre-échange : les leçons de 1988

L’actualité | 6 mars 2025

Libre-échange : les leçons de 1988

par Karl Bélanger

Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton et de secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite agi comme directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique à la télé, à la radio et sur le web, Karl est président de Traxxion Stratégies.

Contre toute attente (sauf pour tous ceux qui se rappelaient sa première présidence…), Donald Trump a mis ses menaces à exécution et a déclenché une guerre commerciale dont les répercussions se feront sentir pendant des décennies. Rien de moins.

Malgré les soubresauts d’humeur, changements de cap, pauses et exceptions de dernière minute, les Canadiens avertis savent désormais que les opposants à l’accord de libre-échange original avaient raison lorsqu’ils soulignaient les dangers d’une intégration trop profonde de notre économie avec la première économie mondiale.

L’élection de 1988 a marqué un tournant dans la politique canadienne, l’électorat rejetant le nationalisme économique proposé par les libéraux et les néo-démocrates. Malgré des difficultés économiques et des pertes d’emplois d’entrée de jeu, les bénéfices de la libre circulation des biens ont prévalu — et somme toute assez rapidement. L’orthodoxie s’est vite installée : le commerce libre d’entraves menait à l’innovation, aux économies d’échelle et à la prospérité commune. Les protectionnistes, mouvement syndical canadien en tête (et ses alliés néo-démocrates), ont été tournés en ridicule parce que leurs prévisions alarmistes ne s’étaient pas réalisées.

Et pourtant. La disparité des revenus et la polarisation politique que nous observons actuellement sont sans aucun doute le résultat direct du chemin choisi par les électeurs en 1988. Les emplois perdus dans la foulée de l’ALE et de l’ALENA (les deux premiers accords de libre-échange) ont certes été remplacés par d’autres, mais rarement occupés par les mêmes personnes. Et l’intégration économique la plus prononcée au monde a mis en place les conditions qui permettent aujourd’hui à Donald Trump de l’exploiter à sens unique.

Le Canada sait désormais que les États-Unis ne sont plus un allié complètement fiable et qu’ils ne pourront plus jamais être vus comme tels. Même si les sondages montrent qu’une majorité d’Américains rejettent l’approche commerciale de Donald Trump et se disent insatisfaits, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Trump annonçait clairement ses couleurs pendant la campagne présidentielle.

Pire encore, Donald Trump a mis la table lors de sa première présidence. Avons-nous tous oublié l’annonce-choc faite en mai 2018 par son administration d’imposer des droits de douane élevés sur l’acier et l’aluminium en provenance du Canada et du Mexique ? Malgré les vagues de récriminations et les contre-tarifs, les protestations des politiciens, des gens d’affaires et des économistes, Donald Trump n’a montré que peu d’intérêt à les écouter à l’époque. Sur ce point, les choses n’ont pas changé. Il va en fait plus loin et pousse plus fort en 2025, comme promis.

L’élection fédérale qui s’en vient va peut-être aider à améliorer la position du Canada. Le gouvernement Trudeau est en sursis depuis plusieurs semaines déjà et Donald Trump a pu profiter de cet état de faiblesse. L’arrivée prochaine d’un nouveau premier ministre (ou première ministre…) changera un peu la donne à court terme. Une élection pourrait accorder un mandat fort au prochain gouvernement, d’autant plus que la relation canado-américaine sera certainement centrale dans la campagne qui s’en vient. Mais pour cela, les électeurs devront coopérer et élire un gouvernement majoritaire. Si d’aventure nous revenons avec un gouvernement minoritaire, l’instabilité politique à Ottawa se poursuivra.

N’empêche, plusieurs imputent au gouvernement de Justin Trudeau l’état actuel des choses dans la relation canado-américaine. Détrompez-vous. Même avec un gouvernement conservateur au pouvoir, Donald Trump aurait foncé. Ses motivations liées au fentanyl ne sont qu’un prétexte. Lui seul connaît son véritable objectif. Son approche économique coercitive, ses ambitions d’expansion territoriale, ses visées sur les ressources — entre autres l’eau douce du Canada — ont plus de sens que le fentanyl. Et même si on avait construit un pipeline de plus, ou même deux ou trois, la situation ne serait pas plus facile.

Il est vrai que nous devons absolument diversifier notre économie commerciale. Les ouvertures canadiennes envers l’Europe sont primordiales, bien sûr. Mais nous devons également renforcer nos liens avec l’Amérique latine — le Mexique en tête, le Brésil, l’Argentine…

Nous devons possiblement aussi nous tourner du côté de la Chine, malgré les récents différends. Commençons par enlever les tarifs de 100 % imposés sur les véhicules électriques chinois, histoire d’offrir des options abordables et écologiques aux consommateurs canadiens. Rendu ici, vous vous dites peut-être : « La Chine ? Comment ose-t-il ! C’est une menace à notre sécurité nationale ! » Et pourtant, la Chine n’a jamais exprimé le souhait d’annexer le Canada. En fait, il n’existe qu’un seul danger immédiat pour notre économie, notre sécurité et notre souveraineté : notre ex-meilleur ami.


 source: L’actualité