Mercosur : les agriculteurs manifestent, les ministres de l’UE attendent les détails de l’accord
Euractiv | 10 December 2024
Mercosur : les agriculteurs manifestent, les ministres de l’UE attendent les détails de l’accord
Par : Maria Simon Arboleas et Sofia Sanchez Manzanaro
L’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur signé le 6 décembre se heurte à l’opposition de nombreuses organisations agricoles européennes, qui manifestaient à Bruxelles lundi 9 décembre en marge d’un Conseil « Agriculture et pêche ».
L’annonce de la conclusion des négociations sur l’accord de libre-échange entre la Commission européenne et les pays du Mercosur — Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay — à Montevideo le 6 décembre a entraîné l’organisation ce lundi d’une « action éclair » de certaines organisations agricoles européennes.
La Fédération wallonne de l’agriculture (FWA), le Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (COPA), la Confédération générale des coopératives agricoles (COGECA) et le syndicat agricole flamand Boerenbond ont manifesté à Bruxelles, alors que s’ouvrait le Conseil « Agriculture et pêche ».
Le COPA et le COGECA ont rencontré les ministres de l’Agriculture de France, d’Espagne, de Pologne, d’Italie et du Portugal en marge du Conseil, afin de faire entendre leurs craintes sur la signature de l’accord controversé. Pour Elli Tsiforou, secrétaire générale du COPA-COGECA, il est ainsi nécessaire que suffisamment d’États membres soient en mesure de bloquer le traité lors de son passage devant le Conseil.
« Cela va bien au-delà des ministres de l’Agriculture [de l’UE] — c’est maintenant au niveau des Premiers ministres, donc ce ne sera pas facile », a-t-elle expliqué pour Euractiv, critiquant l’accent mis par le Commission sur les chiffres, notant que la compétitivité est « un concept bien plus complexe ».
« Chaque fois qu’un agriculteur fait faillite à cause de la pression du marché, cela a des impacts importants sur les zones rurales, un impact socio-économique et un impact sur l’environnement », a-t-elle ajouté.
Agustín Reyna, directeur du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), principale organisation de consommateurs en Europe, se fait l’écho des commentaires d’Elli Tsiforou. « Les consommateurs européens attendent la même qualité d’aliments, quelle que soit leur origine. Le Mercosur ne garantit pas des conditions de concurrence équitables », a-t-il expliqué.
Prochaines étapes
En vertu des traités européens, la Commission européenne est seule négociatrice des accords commerciaux au nom des Vingt-Sept, qui doivent ensuite être validés par les États membres et le Parlement européen.
Au Conseil, le vote sur l’accord UE-Mercosur devrait se dérouler à l’unanimité en raison de certaines dispositions. Pour contourner cette unanimité, la Commission a proposé de scinder l’accord en deux volets, l’un politique et l’autre commercial.
Ainsi, pour entrer en vigueur, la partie commerciale de l’accord ne devrait plus être ratifiée que par au moins quinze États membres représentant 65 % de la population de l’Union.
Lors du Conseil de lundi, la France et la Pologne ont mobilisé leurs alliés afin de rejeter catégoriquement le texte en refusant une proposition visant à le scinder en deux pour faciliter son approbation. Si l’accord devait être voté d’un bloc et que l’unanimité était requise, le veto d’un seul État membre serait suffisant.
Pour la ministre française de l’Agriculture, Annie Genevard, la stratégie visant à scinder le vote en deux parties pourrait nuire à la confiance que portent les populations dans les institutions européennes. De son côté, le ministre polonais de l’Agriculture, Czesław Siekierski, a demandé une évaluation de l’impact de l’accord sur la compétitivité de l’UE, et a souligné que les agriculteurs devraient être consultés sur ses résultats.
« Avant que nous soyons en mesure de nous asseoir à la table avec les agriculteurs et de leur parler, il y aura des protestations dans les rues d’Europe », a-t-il averti.
Jusqu’à présent, la France et la Pologne ont été les opposants les plus virulents au traité UE-Mercosur, mais d’autres États, dont les Pays-Bas, l’Italie et l’Irlande, restent très méfiants sur les dispositions du texte.
La ministre néerlandaise de l’Agriculture, Femke Wiersma, a ainsi déclaré aux journalistes que La Haye ne prendrait pas position avant d’avoir étudié l’accord final. La coalition de droite est dans ce pays dans une position délicate, alors que trois des quatre partis au pouvoir — dont le parti agricole de Femke Wiersma — ont la semaine dernière soutenu une motion contre l’accord.
Le ministre irlandais de l’Agriculture, Charlie McConalogue, a aussi déclaré attendre de voir si les garanties demandées par Dublin seraient incluses dans l’accord. « Nous n’étions pas en mesure de soutenir le Mercosur [tel] qu’il a été proposé initialement. […] Nous n’avons pas changé [de position] », a-t-il déclaré, insistant sur le fait que les agriculteurs de l’UE et d’Amérique du Sud devaient respecter les mêmes normes.
Le ministre espagnol de l’Agriculture, Luis Planas, et son homologue allemand Cem Özdemir ont au contraire expliqué que l’UE avait intérêt à conclure cet accord. Interrogé sur les préoccupations des agriculteurs européens, Cem Özdemir a indiqué qu’il fallait étendre l’étiquetage obligatoire de l’origine à un plus de produits, afin de renforcer les productions nationales.
En Belgique, la ministre wallonne de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq, a réaffirmé l’opposition de sa région à l’accord UE-Mercosur, ajoutant que les divisions internes du gouvernement fédéral belge pousseraient certainement ce dernier à s’abstenir lors du vote.
Du côté du Parlement européen, des eurodéputés belges et irlandais se sont également exprimés contre l’accord, s’engageant à bloquer le texte au sein de l’hémicycle.
Le commissaire à l’Agriculture appelle à la patience
Lors d’une conférence de presse tenue après le Conseil, le commissaire européen à l’Agriculture Christophe Hansen a prévenu que l’exécutif européen prendrait du temps pour finaliser le texte, car ce dernier doit encore faire l’objet d’un examen juridique et être traduit dans toutes les langues de l’UE.
Christophe Hansen a souligné que l’accord comprenait « beaucoup de garanties » et que ces dernières seraient en mesure de protéger les agricultures européennes. Ses propos font échos à ceux de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui assurait vendredi dernier qu’elle avait écouté « les préoccupations » du secteur agricole de l’UE et avait mis en place des « garanties » dans le cadre de l’accord.
Le commissaire luxembourgeois a ajouté que l’accord pourrait bénéficier à certains secteurs agroalimentaires, tels que les produits laitiers et le vin, tandis que d’autres seraient sensibles aux distorsions du marché. « Il ne s’agit pas d’un accord blanc ou noir , mais l’avantage global est élevé », a-t-il conclu.