Montagne d’or : Nordgold demande près de 4 milliards à l’État français
Mediapart | 22 octobre 2021
Montagne d’or : Nordgold demande près de 4 milliards à l’État français
Par Hélène Ferrarini (Guyaweb)
Cayenne (Guyane).– L’information a été révélée le 16 octobre par le média spécialisé dans l’arbitrage international IAReporter (Investment Arbitration Reporter). Deux investisseurs russes, Severgroup et KN Holdings, attaquent l’État français dans l’affaire Montagne d’or, ainsi que le confirment des documents que nous nous sommes procurés.
Severgroup et KN Holdings détiennent la société minière Nordgold, actionnaire majoritaire de la Compagnie de la Montagne d’or (CMO), qui a pour projet d’exploiter un gisement d’or primaire situé dans l’ouest de la Guyane. Les investisseurs s’appuient sur un traité franco-russe de 1989 dit de « protection des investissements » pour demander à l’État français plus de 4,5 milliards de dollars, soit 3,86 milliards d’euros.
Cette somme correspondrait à la moitié de la valeur présumée de la mine, fixée à 9,13 milliards de dollars. La Compagnie de la Montagne d’or est détenue à hauteur de 45 % par l’entreprise canadienne Orea Mining (ex-Columbus Gold) et à 55 % par Nordgold, propriété de la famille de l’oligarque russe Alexei Mordashov.
Après un débat public agité et une mobilisation citoyenne croissante, le gouvernement français avait annoncé en mai 2019 retirer son soutien au projet minier, jugé incompatible avec les exigences environnementales de la France. L’exploitation de ce gisement de 85 tonnes d’or primaire nécessiterait de recourir à la cyanuration et entraînerait la déforestation de plus de 1 500 hectares, à proximité immédiate de deux réserves biologiques intégrales.
Non-renouvellement de la concession minière
Le ministère de l’économie n’a pas prolongé la concession minière de la Montagne d’or, arrivée à échéance au 31 décembre 2018. Ce refus a été sanctionné par la justice administrative qui a enjoint l’État de délivrer ce titre minier, lors d’un jugement en première instance en décembre 2020, confirmé par la cour administrative d’appel de Bordeaux au mois de juillet 2021. L’État s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État, avait révélé Guyaweb.
Malgré cette procédure juridique en cours qui laisse penser que le projet minier n’est pas définitivement enterré, la compagnie minière Nordgold a entamé une procédure d’arbitrage visant à obtenir un dédommagement de la part de l’État français pour non-respect de ses investissements.
En septembre 2020, Severgroup et KN Holdings ont notifié un litige auprès de l’État français « en raison du non-renouvellement des titres miniers », précise un document émanant du ministère des affaires étrangères français. Ces sociétés évaluaient alors leur « préjudice » à « au moins 500 millions de dollars américains » (429 millions d’euros).
« Mécanisme dangereux »
En l’absence d’un règlement à l’amiable, les investisseurs russes ont demandé en juin 2021 un arbitrage international. Pour ce faire, Severgroup et KN Holdings se basent sur un « traité bilatéral franco-soviétique sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements » datant de 1989, qui prévoit une procédure confidentielle de règlements des différends entre investisseurs et États.
Les investisseurs russes considèrent que plusieurs termes de cet accord bilatéral ont été enfreints, à savoir les garanties à « l’admission et à l’encouragement des investissements, au traitement juste et équitable, au traitement équivalent, à la protection et la sécurité pleines et entières », précise un document ministériel auquel nous avons eu accès. Les investisseurs assimilent également le non-renouvellement des concessions minières à des « mesures d’expropriation ».
Dans un communiqué commun, l’Institut Veblen pour les réformes économiques, un think-tank qui promeut « une économie plus juste et respectueuse des limites physiques de la planète » et la fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme ont dès à présent réagi aux révélations du site IAReporter. Ces organisations dénoncent « un mécanisme dangereux » et « appellent le gouvernement français à sortir de la centaine de traités de protection des investissements qui permettent ce type d’attaques contre les politiques publiques françaises à travers un mécanisme de justice d’exception ».