En Équateur, le combat des ex-salariés volés par le pétrolier Perenco
Reporterre | 29 avril 2023
En Équateur, le combat des ex-salariés volés par le pétrolier Perenco
Par Éric Besatti
Perenco, un pétrolier franco-britannique, refuse de payer ses ex-salariés équatoriens. Et impose au pays une amende de 374 millions de dollars. Son tort ? Avoir promulgué une loi sur les superprofits.
Vous lisez l’enquête « Perenco, un empire décrié au Guatemala et en Équateur ».
Puerto Francisco de Orellana (Équateur), reportage
À Puerto Francisco de Orellana, ville peuplée d’ouvriers pétroliers en plein cœur de l’Amazonie équatorienne, Perenco a laissé un souvenir amer. Le pétrolier franco-britannique doit encore 25 millions de dollars (environ 23 millions d’euros) à ses anciens salariés, quatorze ans après avoir quitté les lieux. Nestor Gurumendi, qui vit dans une maison en bois au confort rudimentaire, ne comprend pas l’attitude de son ancien employeur. « La France est pourtant un pays où est née la protection des travailleurs et les droits de l’Homme, s’étonne l’homme de 53 ans. Ce n’est pas un cadeau que l’on demande, juste le respect de la loi. »
Entre 2001 et 2009, il occupait un poste d’aide à la production. À l’époque, le bloc 7, un secteur géographique dessiné à la règle, était concédé à Perenco par l’État équatorien. Dans son travail, parfois de nuit, il était exposé aux dangers, aux vapeurs toxiques, à la chaleur, pour un salaire conforme au minimum légal équatorien, soit plus ou moins 230 dollars (environ 211 euros). Comme le prévoyait le Code du travail équatorien, Perenco reversait aux salariés 15 % de ses bénéfices ; une façon de leur faire supporter la pénibilité de la tâche.
Mais aujourd’hui, pour les 560 anciens salariés répartis entre les différents sites d’exploitation et les bureaux de Quito, la capitale du pays, les comptes n’y sont pas. Nestor Gurumendi, à qui il manque quelques milliers de dollars, précise que sa situation « n’est pas la pire », car il « survit avec un travail d’agent de sécurité ». Il cite des compagnons morts, sans emploi ou malades, dans un pays où le système de santé est loin d’être en forme.
Perenco gagne du temps
Par son attitude, Perenco ne méprise pas seulement les anciens salariés, mais aussi l’État équatorien et son droit. Depuis plusieurs années, le ministère du Travail a rappelé ses obligations à Perenco, via des ordres de paiement signés par la main du ministre, comme celui que Reporterre s’est procuré et datant du 21 juin 2018.
Mais depuis tout ce temps, l’avocat de Perenco, unique interlocuteur de la multinationale en Équateur, temporise. Pour ne pas payer, Esteban Bueno Carrasco invoque le conflit en cours entre l’État et Perenco : le pétrolier français impose à l’Équateur une amende de 374 millions de dollars (près de 343 millions d’euros), pour avoir promulgué une loi sur les superprofits à l’époque de la présidence de Rafael Correa (2007-2017). En 2022, l’Équateur s’est engagé à payer cette amende, qu’il a déjà réglée à 57 %. Alors, qu’est-ce qui coince ?
C’était la question centrale lors de l’audience de la Cour constitutionnelle qui s’est déroulée à Quito, le 24 février dernier. « Dos au mur, sans aucun nouvel argument, l’avocat de Perenco a remis en question les calculs des sommes dues aux salariés », rapporte María-Eugenia Mosquera, porte-parole des ex-salariés. Elle souligne « la mauvaise foi » de l’avocat, en rappelant que le 15 mai 2019, lors d’une rencontre avec les ex-salariés sous l’égide du ministère du Travail, l’avocat équatorien de Perenco avait reconnu les sommes dues. De son côté, Esteban Bueno Carrasco, l’avocat de Perenco, après nous avoir demandé d’adresser nos questions par écrit, reste injoignable par téléphone et par écrit.
Le dossier Perenco « égaré »
Ce qui a le plus choqué María-Eugenia Mosquera lors de cette audience de la Cour constitutionnelle, ce n’est pas la stratégie de l’avocat de Perenco, mais celle affichée par l’État. L’avocat du ministère du Travail, comme celui de la présidence de la République et celui du Procureur général « ont protégé les intérêts de Perenco au lieu de défendre les citoyens ». « Au lieu de demander le respect de la loi, ils ont affirmé que l’affaire relevait simplement d’un litige entre l’entreprise et ses salariés. Je suis restée bouche bée, se souvient María-Eugenia Mosquera. Perenco est en train de voler les citoyens équatoriens et l’État laisse faire. »
Marco Pambabay et Nestor Gurumendi (à d.), deux anciens salariés de Perenco, attendent le versement des sommes qui leur sont dues par Parenco. © Éric Besatti / Reporterre
Comment un État peut-il « ne pas demander l’application du droit ? » s’étonne María-Eugenia Mosquera. Durant l’audience, l’avocat du ministère du Travail a répondu à la juge que le ministère avait « égaré » le dossier Perenco, et donc que ses services étaient dans l’incapacité de pouvoir suivre l’affaire. Pudiquement, María-Eugenia Mosquera rappelle que les affaires de corruption d’élus ou d’agents publics sont fréquentes dans le fonctionnement de l’État équatorien. En 2022, l’Équateur était ainsi classé 101e sur 180 dans le baromètre Transparency international de la corruption ; quand la France, elle, est à la 21e place.
Sur l’égarement du dossier, comme sur la position de son avocat, ni le ministre du Travail équatorien ni ses équipes n’ont répondu à nos questions. Quant à Perenco, la réponse du service communication reste vague : « Nous travaillons avec les partenaires concernés pour remplir nos obligations. »
« Le pouvoir se range du côté des intérêts des entreprises »
L’affaire est à replacer dans le contexte politique du pays. Les années de la présidence Correa (2007-2017) ont marqué un refus du fonctionnement du commerce international, jugé inégal et favorisant les multinationales au détriment des États. En 2009, guidé par une idéologie altermondialiste, pour retrouver sa souveraineté économique, l’État s’est désengagé de la Convention Cirdi, qui autorise cette instance de la Banque mondiale de l’Organisation des Nations unies (ONU) à régler les litiges entre les entreprises et les États signataires via des arbitrages.
Quant à l’exploitation pétrolière de ses sous-sols, l’Équateur est passé à l’action. À cette époque, les pétroliers réalisaient des superprofits grâce à l’explosion du cours du baril sur les marchés financiers (25 dollars en janvier 2001, contre 82 en octobre 2007). De son côté, l’Équateur a décrété que 99 % des bénéfices liés à l’augmentation du prix seraient pour l’État. Refusant cette décision, Perenco a porté l’affaire devant un tribunal international. Et quitté le pays soudainement, le 31 juillet 2009, laissant ses installations déverser du pétrole en pleine nature. Si un premier arbitrage a condamné l’État en 2014, ce dernier, sorti des traités, ne reconnait pas la légitimité du jugement et ne paye pas son amende.
Les choses ont changé en 2021, avec l’élection du nouveau président Guillermo Lasso, banquier de profession. Ce dernier a fait réintégrer l’Équateur dans le Cirdi, qui a fait condamner, en 2022, l’Équateur à payer 374 millions d’euros plus les intérêts. Pour que l’État s’engage à payer, Perenco a demandé le gel des comptes du pays auprès des banques luxembourgeoises. « Jumelé aux banques, c’est là le pouvoir brutal des entreprises, dénonce Mireya Pazmiño, députée Pachakutik (parti des indigènes), qui préside la commission du régime économique et fiscal. Le pouvoir actuel se range du côté de leurs intérêts, ils font partie du même monde et se rendent des services. »
La députée se bat ainsi contre l’exploitation minière et pétrolière dans tout le pays. « Ce n’est pas un capitalisme orienté vers le développement du pays, mais plutôt pour en extraire les profits vers l’étranger », regrette Mireya Pazmiño. Dans le cas de Perenco, les profits extraits vers l’étranger et l’amende dont va s’acquitter le peuple équatorien serviront in fine à reverser des dividendes aux actionnaires de Perenco. Dont les enfants d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la Transition énergétique, font partie.