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Mexique : libre commerce contre semences autochtones

InfOGM | 28 août 2020

Mexique : libre commerce contre semences autochtones

par Catherine Mariell*

Le Traité de libre-échange Mexique-États-Unis-Canada (TMEC) est entré en vigueur le 1er juillet 2020. Il oblige le Mexique à adopter une protection intellectuelle renforcée sur les semences. La société civile mexicaine vient de bloquer une première proposition de loi en ce sens, mais pour combien de temps ? Catherine Marielle, actrice de ce combat, témoigne pour Inf’OGM.

Avec l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) en 1994, le Mexique a dû créer une Loi fédérale des variétés végétales (LFVV) en 1996 et adhérer à l’Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (Upov) en 1997. Objectif : donner la propriété légale des semences et autres matériels reproductifs principalement aux compagnies semencières. Cette adhésion s’est faite sur l’Acte Upov 78 (et non dans la version plus restrictive du texte de 1991 [1]). Ainsi, la réglementation fédérale mexicaine a pu reconnaître les droits millénaires des peuples autochtones et communautés indigènes et paysannes de semer, reproduire, échanger et vendre librement leurs semences. Et c’est ce que nous revendiquons. En effet, le Mexique est un des douze pays mégadivers de la planète, pluriculturel avec 62 ethnies, et centre d’origine et diversification continue entre autres du maïs et du haricot [2]. Cette « diversité bioculturelle » est un bien commun préservé par plus de 300 générations, que les pratiques et connaissances ancestrales permettent de recréer et adapter constamment.

Un projet de loi pour renforcer la propriété privée des variétés végétales

Avec l’Accord transpacifique entre onze pays (2018) et le Traité Mexique-États-Unis-Canada (TMEC), substitut de l’Alena et en vigueur depuis le 1er juillet 2020, le Mexique doit adhérer à Upov 91 dans un délai de quatre ans. Tous ces accords, négociés dans le dos des peuples, privilégient les intérêts commerciaux et financiers des grandes entreprises. Un député mexicain, proche de ces entreprises, a d’ailleurs présenté, en mars 2020, un projet de réforme de la LFVV sanctionnant les semences sans droit de propriété, afin de l’adapter à Upov 91.

Ce projet de loi prévoit d’éliminer les droits de conserver, reproduire, échanger et vendre librement les semences, ainsi que de fortes sanctions en cas de non application : peines de deux à six ans de prison, de lourdes amendes et la destruction des récoltes et produits qui en sont issus. Ces sanctions s’appliqueraient même aux paysans qui ne font que ce qu’ils pratiquent depuis des millénaires et peuvent ignorer que, par exemple, leurs semences ont été enregistrées par d’autres ou que leurs cultures sont contaminées par des transgènes brevetés par des transnationales de biotechnologies.

Cela nous a obligé à intensifier la lutte pour freiner ce qui constituerait une atteinte au cœur de la vie et l’autonomie des peuples mexicains, avec un impact global du fait de la privatisation des grands réservoirs de germoplasme in situ [3]. La défense de ce patrimoine bioculturel s’est accrue en particulier avec la Campagne nationale Sin Maíz No Hay País [4], dans laquelle nous menons depuis 2007 de nombreuses actions pour défendre le maïs, la milpa [5] et la souveraineté alimentaire : information et mobilisation de la société (contre Monsanto, Journée nationale du maïs depuis 2009), incidence dans les politiques publiques et recours en justice contre les transgéniques, comme la Demande collective [6] qui maintient depuis 2013 une mesure de précaution judiciaire interdisant de semer le maïs transgénique sur tout le territoire [7].

Pour contrer le projet de loi, en pleine pandémie de la Covid-19 et confinement, il a fallu faire l’analyse comparative de ces lois, avec les avocats, scientifiques indépendants et quelques parlementaires et fonctionnaires ; organiser une série de séminaires sur internet (webinaires), envoyer des lettres aux députés et au Président de la République, publier une déclaration, des articles, communiqués de presse, de multiples interviews dans les médias (sur le web, imprimés et radio), et lancer une pétition qui a réuni plus de 9000 signatures en quelques jours. Tout cela dans le but de sensibiliser décideurs, organisations, collectivités et la société entière, sur les impacts qu’aurait cette adoption rapide, sans débat public, en session extraordinaire pendant laquelle les députés prétendaient réformer six lois pour les adapter aux nouvelles exigences du TMEC. Nous avons ainsi réussi, pour le moment, à stopper la réforme de la Loi fédérale des variétés végétales.

Une lutte pour défendre le bien commun

De toute évidence, les grandes entreprises, avec le soutien de certains parlementaires et fonctionnaires à leur service, essaieront de l’imposer à nouveau ; peut-être dès septembre, en argumentant une diminution des sanctions les plus scandaleuses prévues contre qui utiliserait des semences et variétés “protégées” par les droits d’obtenteur.
Notre lutte est pour les droits des peuples autochtones et paysans à utiliser librement leurs semences, selon leurs modes de production et de vie dans leurs territoires, ainsi que de toute la population à accéder à une alimentation saine et variée reposant sur la biodiversité et la culture. Il s’agit d’une lutte intégrale de défense du bien commun, pour toutes les générations présentes et futures, et pour notre Terre Mère.

* Fondatrice, en 1977 et coordinatrice du Programme de Systèmes Alimentaires durables et organisation communautaire du territoire ; et coordinatrice générale du Groupe d’études environnementales AC (GEA), http://www.geaac.org, Canal GEAVIDEO : http://youtube.com/channel/UC3br-zukZ0-0aYOfrnraTyw et www.facebook.com/geaac/
Membre de la Campagne nationale « Sin Maíz No Hay País », la Demande collective contre le maïs transgénique, l’Alliance pour la Santé alimentaire, l’Alliance pour Notre Tortilla, la Coalition Agua para Todos, Agua para la Vida, entre autres réseaux.

[1] voir encadré : Inf’OGM, « Droits de propriété sur les semences : le Chili repousse son adhésion à la version actualisée (1991) de l’UPOV », Frédéric PRAT, 26 mars 2014

[2] Mais aussi courge, piment, tomate, avocat, coton, cacao et plus de 100 plantes domestiquées essentielles pour l’humanité.

[3] Il existe en effet une diversité extraordinaire de semences adaptées à chaque niche agroécologique et aux traditions culinaires locales, soigneusement sélectionnées et reproduites chaque année par près de trois millions de familles paysannes, sur des parcelles de moins de cinq hectares ; et qui de plus s’adaptent continuellement aux effets du changement climatique.

[4] http://www.sinmaiznohaypais.org

[5] Au Mexique, la milpa représente l’association de trois cultures : courge, maïs et haricot.

[6] http://www.demandacolectivamaiz

[7] Inf’OGM, « Mexique : pas encore de maïs OGM dans les champs », Christophe NOISETTE, 7 mars 2017


 source: InfOGM